Couleurs éclatantes, cadrages serrés et piqué du détail subliment ces visages fiers d’Afrique, d’Asie ou de Papouasie. C’est une immersion dans une belle diversité empreinte d’harmonie et de dignité, comme une respiration suspendue hors du temps. Une esthétique rigoureuse mise au service de l’émotion, celle d’un émerveillement mutuel. Parce qu’ils offrent avec générosité les paysages de leurs peaux scarifiées et l’élégance de leurs parures rituelles au regard passionné du photographe. L’exposition « ETHINICITY » de Benoît Feron est à voir à Bruxelles jusqu’au 30 novembre.
Interview par Cilou de Bruyn
- Que cherchez-vous à exprimer de personnel dans ce travail sur l’ethnicité ?
Je cherche bien sûr à raconter des choses qui me touchent personnellement. Je suis fasciné par la diversité et la richesse de l’être humain. Je crois que même inconsciemment, j’aime de moins en moins l’uniformité et ma quête d’images en est certainement inspirée. C’est impressionnant de voir comment certains peuples tentent (pour combien de temps ?) de préserver cette diversité alors que notre monde occidental emprunte de plus en plus les rails de la globalité et de l’uniformité. Je suis aussi très impressionné par la créativité et par le sens de l’harmonie et de l’esthétique de certains peuples qui ne possèdent quasiment rien mais qui « sentent » aussi bien le beau.
- Y a-t-il un message que vous tentez de faire passer ?
Oui, dans la continuité de ma réponse précédente, j’aime montrer qu’on peut exprimer cette créativité avec très peu de moyens et que la dignité n’est pas une question de richesse financière mais de richesse intérieure. Le message aussi que l’être humain n’est pas un et que la diversité est une chance. Et puis, j’aime aussi mettre en avant le corps comme formidable vecteur d’expression artistique.
- Quel contact avez-vous avec vos sujets ? Procédez-vous à une sorte de casting sauvage ou avec un « fixeur » ?
Il n’y a pas de règle générale. Chaque expérience est différente. Mais chaque voyage est organisé à l’avance, avec un guide connaissant la région ou les lieux et qui fait, quand nécessaire, appel à des locaux. Mais malgré cela, il y a toujours une part de hasard, une part de surprise et c’est cela que j’aime aussi.
- Quelle part revient justement au hasard ? Quelles limites vous fixez-vous ?
Les limites ? Ne jamais forcer quelqu’un, ne pas le photographier s’il ne le sent pas. De toute façon, dans ce cas, le résultat n’y est pas. Ne pas montrer de quelqu’un ce qu’il ne veut pas montrer. C’est une question de respect aussi. Quant au hasard, il joue une grande part malgré tout. On ne sait jamais ce qu’on va réellement rencontrer. Il faut pouvoir improviser. Un jour, je suis parti avec un guide en pirogue sur le fleuve Sepik en Papouasie Nouvelle Guinée pendant quelques jours. On s’est arrêté par hasard dans un village où avait eu lieu la veille une séance de scarification de jeunes passant leur initiation vers l’âge adulte. On ne le savait pas. J’ai eu ainsi l’occasion de rencontrer ces jeunes, séjournant « en quarantaine » à l’étage d’une maison des esprits. C’était totalement irréel.
- Quelle serait la place de la spiritualité pour vous qui avez assisté à de nombreuses cérémonies, religieuses ou autres ?
Elle est importante, elle offre une respiration, un espoir à l’homme, lui permet de s’arrêter de courir, de prendre du recul, de donner un sens à ses actes. A condition de ne pas tomber dans le fanatisme aveugle bien sûr.
- Quelles leçons tirez-vous de ces rencontres avec l’authenticité ?
Un retour aux sources qui fait un bien fou, qui permet de se recentrer sur l’essentiel, qui seul est important et permet un bonheur durable dégagé de l’inutile.
- Comment arrivez-vous à ce que vos sujets se donnent avec autant d’intensité ?
J’aborde les gens avec beaucoup de respect, de douceur, sans stress, en prenant le temps s’il le faut, en les mettant en confiance. Il faut qu’ils se sentent bien, qu’ils aient envie d’exprimer quelque chose. Cela ne fonctionne pas toujours, mais quand cela marche c’est parfois très fort. Quand la photo exprime cette « intensité », c’est qu’un truc s’est passé.
- Et eux que vous disent-il ?
J’ai envie de répondre à cette question en vous racontant une anecdote. Pendant une expo à Bruxelles consacrée aux Portraits du Rift, des immigrés Afar de Djibouti sont venus me trouver pour me dire qu’ils étaient fiers d’être présentés avec tant de dignité et de beauté, car on donnait souvent une image de l’Afrique très négative. Cela m’a fait penser à une interview de Sebastiao Salgado qui disait que « partout les gens sont beaux et, partout, ils veulent être représentés de manière digne ». Je le rejoins complètement.
- Une définition personnelle de la beauté ?
C’est très subjectif. Mais je dirais un mélange d’harmonie, d’équilibre, d’authenticité, de douceur ou de puissance, qui génère une émotion positive.
- Dans le climat actuel d’effondrement écologique et de bouleversement de nos valeurs capitalistes, quel est votre sentiment – ou quelle est votre contribution pour y remédier ?
Je tente de montrer la beauté de notre planète en sensibilisant les gens à l’importance de ne pas la bousiller. C’est une petite pierre à l’édifice, j’espère.
- Que penser de ces flux migratoires d’Afrique ?
Une honte pour l’être humain. Il y a quelques mois, je suis sorti du film « Human Flow » de Ai Wei Wei, qui traite du problème de façon globale, écœuré et profondément triste. Comment peut-on traiter nos égaux comme cela ? Tout en comprenant qu’on ne peut pas ouvrir toutes les portes, sous peine de déséquilibrer tout un système déjà fragile. Mais je suis effrayé de voir à quel point ce problème réveille l’égoïsme et la montée des nationalismes, au mépris des valeurs de cœur. A quel point les gens oublient qu’un être différent peut être source de richesse et que le monde s’est construit grâce aux migrations. Je suis convaincu que la seule solution est de régler les problèmes sur place pour arrêter la nécessité de fuir. Mais il y a tant d’intérêts géopolitiques divergents entre les nations que je ne suis pas convaincu qu’il existe une solution miracle et satisfaisante.
- Quel sentiment domine – en voyage, en prises de vues, en éditing, en exposition ?
En voyage et en prise de vues, l’excitation de la découverte, qui peut être clairement jouissive. Et puis la quête de l’image, la recherche de l’angle, du point de vue, de la rencontre, … Cela peut devenir parfois un peu obsessionnel, j’avoue… Et il ne faut pas oublier à ce moment-là de rencontrer, d’écouter, de découvrir la réalité de l’autre.
En éditing, la recherche de l’image équilibrée (composition, cadrage, lumière, harmonie des couleurs, expression…) parmi toutes celles (trop nombreuses…) qui défilent sur l’écran. Et quand on y est, c’est une très belle émotion.
En exposition, le bonheur d’échanger, de partager ses expériences, avec des gens de tous horizons qui sont sensibles aux images que vous présentez et que vous n’auriez peut-être pas rencontrer autrement. C’est un partage très riche.
- Envisageriez-vous de faire un travail sur l’ethnicité et la nature belge ?
Oui, bien sûr. J’ai d’ailleurs publié en 2010 un livre sur une fameuse tribu, faite de vrais spécimen, de nombreuses personnalités très diverses : les avocats bruxellois. Le livre s’intitule « Visages d’avocats ».
- À quoi reconnaître la satisfaction ?
Un sentiment de plénitude et de bien-être non commandé qui vous remplit petit à petit.
- Quel mot – unique – pour vous décrire ?
Passionné.
- Un mot sur le travail de Yann Arthus-Bertrand que l’on pourrait rapprocher du vôtre (l’humain et la planète) ?
Je suis son travail depuis très longtemps, j’ai lu ses livres et je l’ai rencontré plusieurs fois. Son exposition « La Terre vue du ciel », il y a déjà de nombreuses années, a donné le goût du voyage à mes enfants. Sa sensibilité par rapport à la beauté de notre planète et sa grande mise en danger actuelle et par rapport à la diversité et la richesse humaines rejoint totalement mon ressenti intérieur.
- Un photographe, ou un artiste qui vous inspire ?
Il y en a beaucoup. Mais si je dois donner un nom, c’est Sebastiao Salgado, lui aussi inspiré tant par la nature que par l’être humain. Avec une poésie fantastique, même s’il a aussi fait des reportages très durs, qui l’ont un moment dégoûté de l’être humain – après le génocide rwandais notamment – et l’ont amené à ce fabuleux travail sur la planète, Genesis. Dans son livre autobiographique « De ma terre à la terre », il décrit exactement ce que je ressens en tant que photographe. La lecture de ce livre fut incroyablement éclairante et m’a permis de mettre des mots sur des choses que je ressentais profondément.
- Des visages de Goma à ceux d’Ethnicity, quel chemin parcouru ?
Je n’ai pas grandi à Goma, je l’ai découverte sur le tard en 2008, pour un reportage au profit de l’ASBL En Avant Les Enfants qui y fait un travail fantastique, après avoir déjà passé plusieurs séjours dans la corne de l’Afrique. Goma c’était une étape mais je voudrais y refaire un travail important. Un endroit où vous côtoyez l’enfer à côté du bonheur et où les gens sont extrêmement touchants.
- Quels sont vos projets ?
Je prépare une exposition importante sur l’autre thème qui m’est cher, ELEMENTS – TERRA ABSTRACTA. J’ai un projet de livre sur la Vallée du Rift…
- Benoît Feron : https://www.instagram.com/benoitferonphotography/
- Exposition :
Galerie Arnaud Rogez, sous la direction artistique de Pascal Young.
1249 Chaussée de Waterloo. 1180 Bruxelles.
Jusqu’au 30 novembre. - Livre :
Portraits du Rift, Éditions Regards Passion, 2016, 144 pages.
