Ne voulant pas montrer son enthousiasme à l’idée de se taper un cacocalo, Zazie se mit à considérer gravement la foule qui, de l’autre côté de la chaussée se canalisait entre deux rangées d’éventaires.
– Qu’est-ce qu’ils foutent, tous ces gens ? Demanda-t-elle.
– Ils vont à la foire aux puces, dit le type, ou plutôt c’est la foire aux puces qui va-t-à-z-eux, car elle commence là.
– Ah, la foire aux puces, dit Zazie de l’air de quelqu’un qui ne veut pas se laisser épater, c’est là qu’on trouve des ranbrans pour pas cher, ensuite on les revend à un Amerlo et on n’a pas perdu sa journée.
– Y a pas que des ranbrans, dit le type, y a aussi des semelles hygiéniques, de la lavande, des clous et même des vestes qui n’ont pas été portées.
– Y a aussi des surplus américains ?
– Bien sûr. Et aussi des marchands de frites. Des bonnes. Faites dans la matinée.
– C’est chouette, les surplus américains.
– Si on veut, y a même des moules. Des bonnes. Qu’empoisonnent pas.
– Izont des bloudjinnzes, leurs surplus américains ? – Raymond Queneau, Zazie dans le métro, 1959
Ils remontèrent la rue d’Amsterdam. Louis portait les valises et se laissait guider par Brossier. Le choix de celui-ci se fixa sur un café dont les parois vitrées, à l’intersection de deux rues, s’avançaient comme une proue. L’intérieur était violemment éclairé. Quelqu’un jouait une partie de flipper. Ils s’assirent au zinc.
– Deux bières, commanda Brossier sans demander l’avis de Louis. Belges, si vous avez.
Il ôta son chapeau tyrolien qu’il posa à côté de lui sur un tabouret. Louis regardait les gens glisser le long des vitres comme des ombres sous-marines le long des parois d’un bathyscaphe, et l’embouteillage, au carrefour.
– À la vôtre, Louis ! dit Brossier en levant son verre. Vous êtes content d’être à Paris ? – Patrick Modiano, Une jeunesse, 1981
– Et ça ! là-bas !! regarde !!! le Panthéon !!!!
– C’est pas le Panthéon, dit Charles, c’est les Invalides.
– Vous allez pas recommencer, dit Zazie.
– Non mais, cria Gabriel, c’est peut-être pas le Panthéon ?
– Non, c’est les Invalides, répondit Charles. Gabriel se tourna vers lui et le regarda dans la cornée des yeux :
– T’en es sûr, qu’il lui demande, t’en es tellement sûr que ça ?
Charles ne répondit pas.
– De quoi que t’es absolument sûr ? qu’il insista Gabriel.
– J’ai trouvé, hurle alors Charles, ce truc-là, c’est pas les Invalides, c’est le Sacré-Cœur.
– Et toi, dit Gabriel jovialement, tu ne serais pas par hasard le sacré con ?
– Les petits farceurs de votre âge, dit Zazie, ils me font de la peine. – Raymond Queneau, Zazie dans le métro, 1959
Vers minuit, nous voici aux Tuileries, où elle souhaite que nous nous asseyions un moment. Devant nous fuse un jet d’eau dont elle paraît suivre la courbe. « Ce sont tes pensées et les miennes. Vois d’où elles partent toutes, jusqu’où elles s’élèvent et comme c’est encore plus joli quand elles retombent. Et puis aussitôt elles se fondent, elles sont reprises avec la même force, de nouveau c’est cet élancement brisé, cette chute… et comme cela indéfiniment. » Je m’écris : « Mais Nadja, comme c’est étrange ! Où prends-tu justement cette image qui se trouve exprimée presque sous la même forme dans un ouvrage que tu ne peux connaître et que je viens de lire ? » – André Breton, Nadja, 1928
Je remonte une dernière fois la rue de Seine — je la remonte ou je la redescends ? Je ne sais pas, je marche, c’est tout. L’étrange familiarité. ne cesse de me tirer par la manche. L’impression de revoir des choses vues il y a fort longtemps. Oui. Je suis déjà passée par là avec ma sœur. Je m’arrête et regarde l’étroite rue Visconti. J’avais été tellement transportée, la première fois, que je m’étais mise à courir et à sauter. Ma sœur avait pris une photo et je me revois, à jamais immobilisée en l’air, emplie de joie. Cela relève du petit miracle de pouvoir se reconnecter à toute cette adrénaline, à toute cette détermination. – Patti Smith, Dévotion, 2018
Pour la première fois, il voyait Paris la nuit. Ils ne descendirent pas la rue Fontaine, cette rue qu’il avait l’habitude de suivre quand il se promenait seul en plein jour. Elle le guidait le long du terre-plein. Quinze ans plus tard, il marchait sur le même terre-plein, l’hiver, derrière les baraques foraines que l’on avait dressées pour Noël et il ne pouvait détacher les yeux de ces néons aux lumières blanches qui lui lançaient des appels et des signaux de morse de plus en plus faibles. On aurait dit qu’ils brillaient pour la dernière fois et appartenaient encore à l’été où il s’était retrouvé dans le quartier avec Annie. Combien de temps y étaient-ils restés ? Des mois, des années, comme ces rêves qui vous ont paru si longs et dont vous vous apercevez, à cause du réveil brutal, qu’ils n’ont duré que quelques secondes ? – Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 2014
Je suis faite pour plaire
Et n’y puis rien changer
Mes lèvres sont trop rouges
Mes dents trop bien rangées
Mon teint beaucoup trop clair
Mes cheveux trop foncés
Et puis après?
Qu’est-ce que ça peut vous faire?
Je suis comme je suis
Je plais à qui je plais
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça – Jacques Prévert, « Je suis comme je suis », Paroles, 1946
Textes & Photos Courtesy Les Douches la Galerie
Les Douches la Galerie
5, rue Legouvé 75010 Paris
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