Les Douches la Galerie présente la nouvelle exposition de Thomas Boivin, Ici – Belleville, Ménilmontant, Place de la République.
Depuis 2010, Thomas Boivin poursuit son travail photographique sur le nord-est de Paris, se baladant autour de chez lui, flânant dans les rues, privilégiant toujours la belle lumière. Ses portraits de passants ou d’habitants rencontrés dans des quartiers multiculturels, et avec lesquels il instaure très souvent un dialogue, ses paysages urbains qui font surgir des recoins délaissés, ainsi que ses propres tirages en noir et blanc, aux nuances de gris subtilement équilibrées, sont devenus sa signature. Celle d’un photographe qui ne renie pas le Paris de Brassaï, de Marcel Bovis ou de Robert Doisneau, mais qui ne verse pas non plus dans la nostalgie, préférant s’inspirer de la scène contemporaine américaine, où Mark Steinmetz et Judith Joy Ross, portraitistes hors-pairs, figurent notoirement parmi ses influences. Quand il ne photographie pas ses amis ou ses proches ou quand il ne sort pas de chez lui, Thomas Boivin s’empare de natures mortes, en écho à une tradition picturale, qui reflètent aussi son goût prononcé pour la simplicité et la beauté.
Interview par Philippe Séclier
Philippe Séclier : Comment êtes-vous devenu photographe ?
Thomas Boivin : Peu après des études d’illustration aux Arts Décoratifs de Strasbourg, j’ai acheté un appareil numérique – vite échangé contre un Leica – et j’ai pris l’habitude de faire des balades avec mon appareil, au milieu de mes journées penché sur une table à dessin. Rapidement, la photographie a pris le dessus.
Avez-vous immédiatement choisi de photographier en noir et blanc ?
Thomas Boivin : Au départ, c’est un choix rationnel : il y a une douzaine d’années, le film noir et blanc était encore peu cher, et je n’avais pas énormément d’argent. À l’époque, il était possible de commander directement ses pellicules des États-Unis par centaines, sans frais de douane. J’étais de toute façon attiré par l’idée de faire les développements moi-même, ce que le noir et blanc permettait facilement. Cela dit, j’ai toujours utilisé des pellicules couleur de temps en temps, et peut-être que je m’y mettrai plus sérieusement un jour.
Quelle place occupe la lumière dans votre travail ?
Thomas Boivin : J’aime le plus souvent les lumières franches et sors rarement par temps couvert. Je photographie presque exclusivement le matin, peu le soir ; c’est aussi parce que je fais beaucoup de portraits, et il se trouve que les gens sont plus agréables le matin. Le noir et blanc permet de se concentrer sur les formes et la lumière, alors qu’en couleur, c’est la couleur qui prend tout l’espace.
Comment avez-vous appris la technique du tirage ?
Thomas Boivin : Seul. Techniquement, les bases sont simples à apprendre. C’est plutôt le travail de l’œil qui est long, savoir ce que l’on veut et comment le papier va le transmettre. J’ai tout de suite développé mes films et j’ai compris rapidement que je devais faire mes propres tirages, mais je l’ai fait longtemps de manière assez grossière. Avec le temps, la pratique du tirage rend sensible aux nuances, à la profondeur des noirs. Mon expérience précédente fut celle d’un dessinateur qui était excessivement conscient de ce qu’était, d’une certaine manière, un bon dessin. En tout cas, c’est ainsi que je le vivais subjectivement. J’étais toujours frustré de l’écart entre ce que je souhaitais faire et ce que je faisais. Lorsque j’ai choisi de pratiquer la photographie, j’ai été attentif à ce que cela reste un plaisir. J’ai probablement perdu du temps, mais ce qui était important pour moi au début, c’était que ce soit une pratique avant tout faite d’habitudes ancrées, sans me sentir écrasé par des comparaisons trop précoces avec des travaux d’autres photographes.
Est-ce à dire que vous n’avez pas subi d’influences artistiques ?
Thomas Boivin : Il y a, bien sûr, de nombreux photographes qui ont compté dans mon parcours. Je parle facilement de Greater Atlanta de Mark Steinmetz et de son importance pour moi à ce moment-là, avec ses portraits en situation, leur profondeur psychologique, leur exigence formelle. Je garde une grande admiration pour la photographie anglo-saxonne. En France, des photographes comme Bernard Plossu, Hervé Guibert et Patrick Faigenbaum m’ont très tôt marqué – mais la photographie japonaise, par exemple, compte aussi pour moi – Issei Suda par exemple.
Pourquoi avez-vous choisi de photographier principalement Paris ?
Thomas Boivin : Avoir grandi à l’étranger m’a longtemps coupé toute envie de voyager : être à nouveau une forme d’étranger de passage ne m’intéressait pas spécialement. Habitant Paris, j’en photographie les rues et les habitants parce qu’ils sont, que je les photographie ou non, en relation directe avec moi : nous habitons la même société et les mêmes espaces. À côté de cette curiosité pour mon environnement immédiat, il y a eu au départ, sans doute, le désir de créer une habitude, je voulais que photographe soit mon identité, et pour cela, pratiquer tous les jours – donc, le plus souvent, en bas de chez moi.
Entre les trois ensembles – Belleville, Ménilmontant et Place de la République – qui vont être exposées aux Douches la galerie, existe-t-il une forme de continuité ?
Thomas Boivin : Il y a au moins une relative unité de lieu et j’espère de manière de photographier. S’il existe de réelles différences entre ces trois séries, ce sont toujours des lieux relativement proches et qui m’interpellent directement. Je me dis toujours : tiens, à cet endroit-là, il se passe quelque chose que j’ai envie de mieux voir. Si je n’étais pas photographe, j’aurais cette même curiosité. Parfois, je travaille d’une façon plus spontanée, personnelle – de nombreux amis apparaissent dans Ménilmontant – parfois de manière plus systématique et réfléchie, comme dans Place de la République. Ce sont par ailleurs des travaux qui correspondent chez moi à des âges différents, et des préoccupations qui changent. L’ensemble de ces variations se superposent jusqu’à, je l’espère, avoir une valeur de document, bien que je ne cherche pas à travailler véritablement sur Paris. J’ai pu être profondément touché à la vue de photographies venant de la banlieue d’Atlanta, au point de m’y reconnaître. Je souhaite que mes photos de Paris et de ses habitants puissent éveiller chez la personne qui les regarde une familiarité, une proximité qui soit une reconnaissance de leur caractère universel.
Propos recueillis par Philippe Séclier
Thomas Boivin : Ici – Belleville, Ménilmontant, Place De La République
Jusqu’au 6 avril 2024
Les Douches la Galerie
5, rue Legouvé
75010 Paris
www.lesdoucheslagalerie.com