Les chroniques mensuelles de Thierry Maindrault suscitent toujours des réponses passionnées. Voici sa dernière sur la dérive des photographes à lire ici ainsi que quelques commentaires qu’elle a suscités.
Bonjour Thierry,
Ton article du 11 août sur le « métier » de photographe est d’une pertinence et lucidité qui frisent l’absolu.
Entré apprenti en 1975, étant toujours passionné fou de photographie (photo et graphie ensemble sinon ça ne veut plus rien dire, précision reprise à Jean Dieuzaide),
Je poursuis inlassablement ma quête.
Non, moi, je n’en vis pas, j’ai d’autres activités comme la formation grand public depuis 2007.
Un de mes gros coups de gueule, ce sont toutes ces photographies qui restent dans les smartphones entre autres, alors que beaucoup pourraient a minima prendre soin d’en faire tirages ou objets, pour chez soi déjà.
La quantité d’abrutis grandit depuis 1975, mais je continue de me marrer, grosse dose d’insouciance peut-être.
Beau weekend et joyeux moments photographiques et autres,
Bien confraternellement,
Alain Pons Photographe
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Cher Thierry,
Merci encore de ta chronique.
L’inquisition n’a pas mis fin aux blasphèmes (dieux soient loués), ni les Français/Anglais/Espagnols aux Amérindiens, etc.
La bien formative révolution numérique a promis la liberté de circuler (il n’y a rien à voir), de penser (seuls les pansements sont acceptés), de s’informer (on apprend surtout le confort que procure l’ignorance), de communiquer librement (dites-nous tout, ayez confiance) … ce que les foules d’individus sont dociles !
Dans cette multitude de « créateurs d’images » dont tu parles, comme dans tous les conflits de toutes sortes, perdurent des photographes intègres qui font un très bon travail. Je pense à Guillaume Herbeau, Olivier Jobard, Denis Dailleux, Michael Akerman, etc.
Faudrait-il les désigner, les montrer en exemple, en sens de l’orientation, remettre la barre très haute (elle est si basse et on marche dessus) afin que la mesure se fasse par l’élévation plutôt que par «ma-nivellation » ?
Amicalement.
Michel Monteaux
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Bonjour,
Nous ne nous connaissons pas. En tout cas, nous ne nous sommes jamais rencontrés.
Je suis l’ancien créateur de la galerie qui portait mon nom à Paris.
Voilà plusieurs fois que je lis vos chroniques par « l’Oeil de la photographie ». J’ai toujours trouvé vos commentaires sur la photographie d’aujourd’hui très pertinents et je tenais à vous le dire.
Ce regard de « connaisseur » sur la photographie se fait rare. Évidemment, je suis devenu une « vieille barbe »et je me sens un peu perdu avec la photographie qui s’installe sur les cimaises de galeries et autres musées et institutions.
Je tiens tout de même à garder ma curiosité alors… je cherche à comprendre.
J’ai fermé ma galerie de la Place du Marché Ste Catherine fin 1999, j’ai poursuivi la défense de la photographie en m’associant à une galerie de peinture en Uruguay durant 10 années, puis je suis rentré m’installer en Espagne où j’ai arrêté toute activité de galeriste.
Tenez-moi au courant de vos activités et autres publications.
Merci par avance.
Cordialement
Jean-Pierre Lambert
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Bonjour Thierry,
Je suis assez en phase avec vous, et j’aimerais ajouter une illustration de votre alerte à vos confrères.
La revue dans laquelle vous écrivez (si bien !) ne manque pas de commentaires et de présentation hyperboliques.
Pendant un temps, j’en ai collecté quelques-unes, que je livre à votre appréciation.
22/03/20 Présentation de photos de mer, de Hiroshi Sugimoto.
« Sugimoto a composé toutes les photographies à l’identique, la ligne d’horizon bifurquant chaque image avec précision. La répétition de ce format strict révèle le caractère unique de chaque rencontre entre ciel et mer, l’horizon n’apparaissant jamais exactement de la même manière. Les photographies sont romantiques, mais absolument rigoureuses, apparemment universelles, mais extrêmement spécifiques. »
NB : Les photos représentent une mer nue, calme (pose longue ?), parfois de nuit ( ! ), avec invariablement l’horizon au milieu. Et toujours en noir et blanc.
23/01/20
« Fasciné par l’imprévisibilité {il} suit une routine presque quotidienne où les photographies ne sont que pour son propre plaisir. Une obsession saine et salvatrice qui le conduit à découvrir des miracles quotidiens qui apparaissent comme des fragments d’une dimension parallèle. »
26/06/20
« La série en tant que telle est une ode à la résilience de la connexion humaine malgré ce qui pourrait se produire avec le temps. »
28/09/2020
« … une méthode de travail qui a amené le photographe naturellement réservé dans une confrontation directe avec une agitation intérieure, une friction entre réticence et curiosité sans retenue, qui est peut-être l’équilibre délicat d’intimité et de distance qui le relie à ce qu’il voit. »
13/03/2021
« Leur esthétique minimale est métaphorique de la recherche de la simplicité. »
18/03/2021
« il s’intéresse moins aux forces de la nature qu’aux propriétés physiques inhérentes et littérales des médiums photographiques. »
01/07/2022
« Il y a des images trop pleines d’histoires, tellement lourdes de récits qu’elles les laissent tranquillement se répandre comme les couleurs s’étalent sur le monde. Ces images coulent et, face à elles, nous sommes pris.e.s dans un flot de mots possibles et de mondes cachés. Il y a une certaine magie à traverser ces images, on vole d’un espace à l’autre sans jamais se cogner car il y a trop de choses à dire, des chants plein les oreilles, des paysages plein le nez. »
(NB : ceci est une extraction de mes notes prises dans le quotidien du Journal).
Je ne lis presque plus jamais les textes de présentation…
Cdlt
Serge Mare
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Cher Thierry,
Je réagis à ta dernière chronique, toujours pertinente et éclairée. Toutefois, si je partage entièrement ton état des lieux, je voudrais développer – un minimum pour un photographe – des interrogations quant à tes conclusions.
Oui, nous sommes tous responsables de cet écroulement, oui les photographes, mais aussi les illustrateurs, les graphistes, etc., sont de farouches indépendants et ont du mal à penser collectif. Membre durant de très longues années de l’ANPPM puis de l’UPP devenu UPC, j’avais proposé au bureau la transformation de l’association en syndicat pour pouvoir ester en justice directement, ce qui aurait peut-être été efficace pour révéler certaines pratiques. Sans effet.
Il est clair que si on a entre les mains un semi-remorque de 35 tonnes, on peut plus facilement brandir des revendications que si l’on a seulement un boîtier 35 mm…
Plus sérieusement, notre activité, qui reste effectivement à la mode comme tout ce qui flatte l’ego, est en train de disparaître. La grande affaire de la communication par la photographie, ce sont les années Life, Match et consorts. Aujourd’hui avec le haut débit qui se généralise il n’y aura bientôt plus d’images fixes sur internet et l’outil est la vidéo. Les fabricants ne s’y sont pas trompés en développant des boîtiers avec lesquels on filme plus qu’on ne photographie.
D’une manière plus générale, si le photographe est un producteur – je n’ose plus dire créateur – d’images, il est aussi un citoyen consommateur qui, le plus souvent, au lieu d’appeler le plombier, va acheter trois bouts de tuyau en pvc et un tube de colle chez Casto, car la technicité de savoir souder n’est plus indispensable. Ainsi, nous faisons à d’autres ce qu’on nous fait subir. Tout se transforme et les ingénieurs, techniciens et autres sachants, ont plus transformé le monde que les philosophes…
Je suis photographe, mais aussi graphiste et concepteur. Mon premier Mac, en 1994, coûtait, avec Photoshop et Quark XPress, le prix d’une petite voiture. J’ai vu une génération de photographes pleurer parce que leur rémunération baissait d’année en année. Mais combien ont fait l’effort de s’informatiser dès le début, de se former aux métiers périphériques pour offrir une prestation plus complète et donc à plus-value ?
Demain, ou plutôt dès aujourd’hui les techniques d’IA, qui n’ont que le vocabulaire “d’intelligence” car nourries par le vol de vraies images réalisées par des humains, vont encore accentuer le phénomène de destruction. On ne veut plus payer la création. Le but de l’IA n’est pas d’embellir quoi que ce soit, mais d’optimiser – mot pudique – le rendement financier de l’investissement en divisant par 10, 100, 1000, le coût de l’image.
Comment faire ? Ne pas pleurer, peut-être envisager de gagner sa vie avec une autre activité et pratiquer la photographie créative pour enrichir sa vie. C’est déjà énorme !
Michel Cresp
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C’est un plaisir de lire vos chroniques, sans prétendre résoudre les problèmes, elles les énoncent clairement (à chacun d’acter).
La photographie a eu effectivement un grand nombre d’applications, industrielles et autres. Pour la plupart, il s’agissait de procéder à un enregistrement visuel, relativement fidèle, à des fins de mémorisation.
Mais les lettres de noblesse de la photographie ont été écrites par ceux qui ont compris l’incroyable possibilité de cette invention.
Ce tout nouveau pouvoir de saisir à jamais la poésie d’un instant.
S’il fallait enseigner, l’essentiel est là.
Respectueusement
Jean-Louis Atlan
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Bonsoir,
Après vous avoir lu, j’ai écouté Anne Sylvestre, je sais ce n’est pas très clair ce que je viens de vous écrire, mais vous m’avez foutu le bourdon… Bon Anne Sylvestre, c’est vraiment pas Carlos non plus.
Début du métier 67 fin des facturations 2021 à 73 ans, maintenant, je fais l’artiste sans catogan, rassurez-vous. Indépendant et non formateur, rien de transmis alors que des vieux (traduire de quand j’étais jeune) m’ont tout appris. Les jeunes ? Quand je dis ce que vous écrivez (on pense en gros la même chose), ils ne me croient pas. Je ne vends pas du rêve, moi, et les parents aussi me traitent de vieux con aigri, et après tout pourquoi je vais me battre, la profession ?
Dés qui exigeaient avec courage des droits d’auteurs alors qu’ils avaient signé les papiers délivrant l’entreprise des droits, avocat oblige, ou sinon tu es dehors. Signe pour ça, signe pour ne pas divulguer, signe pour te taire et pour bouffer. L’indépendance coute cher, très cher, mais moi aussi, je ne regrette rien
Parce que je n’avais que des clients au-dessus de moi, situation rare et tout ce que j’ai vu et “fréquenté” des gens si intéressants à me faire comme une culture malgré mon certif juste obtenu.
Voilà ce que l’on a perdu, le moyen de vivre une passion, d’exercer un métier artisanal. Même si on part de presque rien en bagage, même si les parents ne sont pas fortunés, même si on n’a pas fait Vevey ou Vaugirard, etc. ou Machin comme vous dites.
Voilà, je parle et le temps passe, désolé, mais il ne fallait pas commencer à parler du métier. Mais j’ai espoir, il faut toujours finir en optimiste béat.
Les commandes m’ont amené plusieurs fois en Suède, Pologne et autres pays équivalents. Bref, j’ai vu, en plus des usines, mon but, des musées, des salons, tous dédiés à l’art photographique, et le visiteur que j’étais en restait pantois, des photographes sur un piédestal.
C’est nous que l’on cherche à dégommer au nom du fait tout toi-même et ne fais pas appel au photographe chiant qui prend du temps sur la production.
Pour résumer, un client m’a dit un jour : « faites ça bien et donnez-vous les moyens, je n’ai pas envie d’avoir un catalogue de machines d’Allemagne de l’Est », l’entreprise existe toujours.
Bon voilà, j’avais envie de causer boutique avec un collègue, si vous le permettez,. Avant… on se voyait dans les labos pour causer et pour montrer ses muscles, c’était avant !
Maintenant, je fais l’artiste gratuitement, enfin sans contrainte, mais plein de regrets d’en avoir fini de me battre pour exister (professionnellement bien sûr).
Bien fort cordialement et pardon d’avoir fait long.
Patrick Avavian