Je me souviens de mon enthousiasme quand j’expliquais à ma mère mon projet de me balader en voiture au Texas pendant trois semaines avec mon appareil photo, une autre fille et douze valises de vêtements. Elle avait peur que nous nous perdions, que nous nous fassions kidnapper ou assassiner. J’ai essayé de la convaincre que tout irait bien ; que j’avais entendu dire que les Texans étaient très sympathiques et que de toute façon, papa connaissait une vieille dame à laquelle nous pourrions rendre visite dans une ville du nom de Brownwood.
Je n’étais sûre de rien, sauf que cette expérience serait une aventure et que vraiment, se perdre c’était tout l’intérêt de la chose. J’espérais que nous puissions prendre les photos des personnages et des lieux que j’avais prévus, et que tous les vêtements seraient à la bonne taille.
Dès que je suis descendue de l’avion à Dallas, j’ai eu le sentiment irréel d’être sur un plateau de tournage. Ma première pensée a été pour les cow-boys, les camionneurs et les beautés des parcs à caravanes. Cette nuit-là, j’ai rencontré Cletus, le portier de notre hôtel. C’était un bel homme sans âge qui paraissait gentil. J’ai décidé immédiatement qu’il serait notre premier sujet. Plus tard nous nous sommes donnés l’accolade en nous disant au-revoir, et j’entends encore sa voix sonore et nasillarde me dire: « Avec vous, j’ai l’impression que c’est toujours dimanche ».
J’aime devenir amie avec des inconnus. Quand on prend la photo d’un inconnu, on peut former des liens. Je me fabrique ainsi des souvenirs et des amitiés durables, et cela m’excite de voyager et d’explorer en cours de route. Des pensées passagères, des idées et des moments de hasard m’ont conduite à des scènes dignes de mes rêves. Bien que mes photographies appartiennent surtout au domaine de la mode et de l’art, je les vois également comme un récit personnel qui relate des rencontres fortuites avec des personnes venant de mondes différents et ayant des modes de vie différents. Parfois, je me fais un ami, et une photo suit ; d’autres fois, je prends une photo et je me fais un ami.
Le caractère est un aspect essentiel de mon travail, et je suis attirée par des gens venant de tous les horizons. Je veux capter un élément de vérité dans mes sujets et leur environnement personnel. Etant donnés tous les défis et la logistique de la prise de vue en voyage, c’est l’approche qui fonctionne le mieux pour mes photos ; ce ne serait pas logique de procéder autrement. Bien que je me prépare à l’avance autant que possible, le hasard joue toujours un rôle, alors je suis ouverte à toutes les possibilités.
J’aime explorer des lieux lointains où je ne suis jamais allée. Comme la plupart des gens, je m’aperçois que dans ce contexte ma sensibilité est accrue et je suis pleine de vie, comme je n’aurais jamais pu l’être chez moi, dans un environnement familier. Je souhaite que des gens de milieux divers, avec des points de vue différents, me fassent confiance pour que je puisse capter et transmettre une part de leur réalité et de leurs aspirations. Cela ne se passe pas toujours aussi bien que je l’aurais voulu, mais cela rend les choses d’autant plus excitantes quand un rapport s’établit avec quelqu’un et qu’une sorte de confiance mutuelle se développe très vite. Chaque fois que je m’éloigne d’un sujet ou que je suis de retour chez moi après avoir vu un nouvel endroit, j’ai l’impression que ma vie s’est enrichie, et j’attends avec impatience ma prochaine aventure.
Alice Hawkins
Ce texte est extrait d’Alice’s Adventures, d’Alice Hawkins. Reproduit avec l’autorisation de Thames & Hudson Inc.
Alice’s Adventures
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