Tout au long de sa carrière, Sturtevant a conféré une importance particulière à la photographie et peut-être ce médium illustre-t-il au mieux la résistance qu’elle a opposé à toute catégorisation de son travail. Plutôt que de créer des reproductions exactes, elle entame un dialogue avec ses sources en complexifiant le procédé mimétique de base qu’elle détourne de sa fonction première. L’exposition Undeniable Allusion, visible en ce moment à la Galerie Thaddaeus Ropac, à Paris, rassemble photographies et objets rares de Sturtevant. Réalisées entre 1966 et 1998, les images témoignent du lien particulier que Sturtevant a entretenu sa vie durant avec le travail de Joseph Beuys, Marcel Duchamp et Andy Warhol, en même temps qu’elles soulignent la nature performative de sa démarche artistique radicale.
Une de ses premières séries de collages photographiques, inspirée des études sur le mouvement d’Eadweard Muybridge, donne le ton de l’exposition et rend compte de son intérêt de longue date pour les images en action. Tandis qu’elle avance dénudée devant ses propres versions d’œuvres de Duchamp, de Johns, de Warhol ou de Beuys, c’est simultanément son travail et son corps qu’elle soumet à l’objectif de l’appareil. Comme le note l’historien de l’art Peter Eeley : « Sturtevant met ses peintures au même niveau que les arrière-plans en grid qu’utilisait Muybridge pour mesurer ses sujets, et se sert des effigies photographiques de son propre travail comme d’une sorte de scénographie à laquelle elle confronte son apparition et sa progression à travers – et implicitement en dehors – du cadre ».
Les Warhol Flowers de Sturtevant présentées dans l’exposition revisitent la série qui a lancé sa carrière. C’est en 1964, année où elles sont exposées à la Leo Castelli Gallery, qu’elle réalise sa première « répétition » des célèbres sérigraphies florales d’Andy Warhol. Ce dernier avait développé ce motif à partir de photographies de fleurs d’hibiscus publiées dans le numéro de juin 1964 du magazine Modern Photography. Warhol avait créé la composition de ses œuvres en recadrant la photographie de sorte que quatre des sept fleurs originales tiennent dans un format carré. Cette utilisation non autorisée d’une photographie réalisée par quelqu’un d’autre instaure un lien direct avec la méthode sérielle grâce à laquelle Sturtevant allait continuer à étudier le même sujet sans jamais en épuiser les possibilités.
Articulées autour de la répétition de cette image iconique, les pièces reliées à Beuys et à Duchamp démontrent l’engagement personnel de Sturtevant dans une réflexion sur la création de l’image. Elle refait ainsi à sa façon Fontain et les Coins de Chasteté de Duchamp, elle se photographie le visage couvert de mousse à raser, comme dans le célèbre portrait de lui pris par Man Ray. De Duchamp elle dit, « Les ready-made, son ensemble d’œuvres le plus marquant, manquent d’unité, de forme et de signification, et ouvrent de ce fait un espace autorisant l’attribution d’une signification postulée, subjective ou arbitraire ».
Quand elle endosse la tenue d’explorateur-archéologue de Joseph Beuys, Sturtevant devient, en quelque sorte, une aventurière de l’histoire de l’art. La mise en œuvre d’une « répétition comme différence » lui permet de revisiter les grands récits de cette discipline et déstabiliser notre compréhension habituelle de la pratique artistique. L’accrochage de l’exposition entend répondre au principe de circularité qui parcoure l’ensemble de son œuvre. De ses premiers travaux conceptuels jusqu’à son intérêt plus tardif pour la cybernétique, elle a toujours été en quête d’un même mouvement : aller vers l’avant. « Ce qui est fascinant en ce moment, c’est l’omniprésence de notre mode cybernétique, qui relègue le copyright au rang de la mythologie, fait des origines une notion romantique, et chasse la créativité hors du soi. Refaire, réutiliser, réassembler, recomposer – c’est comme ça que ça se fait ! ».
Sturtevant, Undeniable Allusion 1966-1998
Du 22 avril au 17 juin 2017
Galerie Thaddaeus Ropac
7, rue Debelleyme
75003 Paris
France