En 1920, le Traité concernant le Spitzberg attribuait à la Norvège la souveraineté́ sur l’archipel arctique du Svalbard aux conditions suivantes : la démilitarisation totale de la région, un système propre de taxation, le respect de l’environnement et surtout la possibilité́ pour tous les pays signataires d’y développer une activité́ durable. La Russie, qui n’a ratifié le traité qu’en 1935, reste actuellement le seul pays étranger à profiter de ce droit par le truchement d’une exploitation minière. Cette situation résulte de considérations exclusivement géopolitiques car les différentes mines russes de charbon dans l’archipel (Barentsburg, Pyramiden, Grumant et Colesbay) ont toujours été financièrement déficitaires. Barentsburg fut ainsi un poste d’observation avancé durant la seconde Guerre mondiale et la guerre froide en plus d’être un point d’appui militaire possible pour l’Union soviétique. Aujourd’hui, les intérêts russes au Svalbard proviennent de l’emplacement stratégique de Barentsburg dans le cercle polaire et de sa situation idéale au milieu des nouvelles voies maritimes qui s’ouvrent peu à peu dans l’arctique. Néanmoins, la mine reste la seule justification officielle de la présence russe dans la région. Mais personne n’est dupe. Pas même les mineurs qui prennent leur mal en patience entre leur travail dans une exploitation minière insalubre, la nuit polaire et l’absence de divertissements.
Pourtant, à l’époque soviétique, Barentsburg et surtout Pyramiden étaient des destinations prisées et travailler là-bas n’était peut-être pas un privilège mais sûrement pas une punition. Les mineurs et les autres employés de ces villes étaient recrutés au regard de leurs compétences techniques mais aussi du « je ne sais quoi » supplémentaire qu’ils pouvaient apporter à la collectivité. On recrutait de préférence chanteurs, sportifs et artistes afin de faire vivre une communauté isolée, créer des liens sociaux forts et ainsi tromper l’ennui, la solitude et l’éloignement du continent et de leur famille.
Barentsburg et Pyramiden, villes entreprises sans population autochtone, ne connaissaient dès lors que le plein emploi. Pour des raisons économiques et géopolitiques, l’Union soviétique avait aussi préféré bannir toute liquidité sur place plutôt que d’utiliser la seule devise officielle du svalbard, la couronne norvégienne. Ni argent ni chômage sur place donc. Mais aussi gratuité des soins, de la cantine, des loisirs, autosuffisance alimentaire grâce à une serre et une ferme… Les enclaves russes du svalbard furent peut-être les seules mises en pratique totales et sans compromission de l’utopie soviétique, cette dernière nécessitant sûrement les conditions autarciques du grand nord pour réussir.
Mais cette concrétisation n’a pas survécu à la chute du régime communiste et les différents sites d’exploitation russes ont fermé les uns après les autres à l’exception de Barentsburg dont on annonce l’épuisement dans les prochaines décennies. Aussi le trust d’Etat gérant la mine (nommé Arktikugol, littéralement le charbon arctique en russe) cherche à se renouveler en se tournant vers le tourisme afin de minimiser ses pertes financières. Depuis 2010, de nombreux travaux de rénovation ont ainsi été initiés et en 2013 ont été ouverts une brasserie, un restaurant, une auberge de jeunesse ainsi qu’un centre d’expédition, preuves d’un regain d’intérêt des autorités russes pour le Svalbard et de l’attrait touristique que la région commence à constituer. Et si jusqu’à maintenant Barentsburg ou Pyramiden, avec leurs statues de Lénine et leurs infrastructures vieillissantes ou abandonnées, ne pouvaient que rappeler les vestiges figés de l’époque soviétique, ces enclaves sont maintenant vouées à participer au renouveau de la puissance russe dans les années à venir.
Léo Delafontaine
Léo Delafontaine, Arktikugol
Publié chez Editions 77
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