Lee Miller est un personnage fascinant de la photographie contemporaine. Récemment son fils Antony Penrose – directeur des archives Lee Miller – a donné un entretien à l’historien Primož Lampič. Le voici. Interview réalisé par e-mail entre décembre 2010 et septembre 2011.
Primož Lampič : Combien de négatifs contiennent les archives Lee Miller ?
Antony Penrose : Nous avons dans les archives environ 60 000 négatifs — pour la plupart des 55 x 55 mm de son Rolleiflex mais il y a aussi 5 000 demi-plaques et plaques datant de l’époque où elle travaillait au studio Vogue, et environ 5 000 négatifs 35 mm. Cela ne représente pas la totalité de son travail. Il est difficile de dire combien de négatifs manquent. Nous n’en avons que très peu — à peu près 50 — du studio de New York et beaucoup moins encore — près de trente — du studio à Paris.
P. L. : La sélection de photographies de Miller présentée dans de nombreuses expositions ne sont-elles que des impressions vintages ?
A. P : Nous présentons principalement le travail de Lee sous la forme de tirages argentiques récents des négatifs originaux réalisés par notre curatrice et imprimeuse Carole Callow. C’était la base de l’exposition de Ljubljana. Récemment, nous avons fait des tirages numériques parce qu’ils sont moins chers et qu’avec Photoshop, nous pouvons réparer les négatifs abîmés qui n’auraient pu être utilisés sinon. Nous utilisons rarement des impressions d’époque pour les expositions.
P.L. : Quels critères utilisez-vous pour sélectionner les photographies parmi les négatifs que Miller n’a jamais imprimés et qui ne furent jamais publiées de son vivant ?
A. P. : Cela dépend de la raison pour laquelle nous sélectionnons les photos. Si nous racontons une histoire — en illustrant peut-être des mots que Lee elle-même a écrit ou en cherchant une image susceptible d’offrir un contexte biographique ou historique —, nous utilisons le cliché qui montre le mieux l’événement, en tenant compte des considérations habituelles concernant la composition de l’image et sa perfection technique. Comme vous le comprendrez, dans le cadre d’un travail journalistique, le contenu de l’image peut parfois écraser nombre d’autres considérations. Même si nous préférons publier les images sans les recadrer, nous avons parfois recours à ce procédé pour rendre l’information plus claire.
D’un autre côté, si nous sélectionnons des images pour mettre en valeur le regard unique de Lee Miller — son regard surréaliste si vous préférez — nous devons être guidés dans notre choix par les images qu’elle a produites dont nous savons qu’elle les aimait et les approuvait. Il y en a peu, mais au fil des années, je crois avoir eu l’opportunité d’examiner toutes les images importantes de sa période à Paris et en Égypte, où ce regard était au summum de son expression, et cela m’aide à dénicher les autres images de ce genre qui n’ont pas été publiées. Nous imprimons ces photographies sans les recadrer et dans une tonalité qui nous semble être proche de l’intention de Lee Miller.
P.L. : Est-ce que vous opérez ces sélections seul ou avez-vous des conseillers et des curateurs pour vous aider ?
A.P. : Cela dépend du but poursuivi. Parfois, je sélectionne seul un corps de travail qui sera en définitive traité par un curateur ou un directeur photo. Quand je travaille avec un curateur ou un directeur, ils ont des thèmes spécifiques en tête pour leur livre ou leur exposition, et je me mue en conseiller, avec un degré d’influence qui varie selon l’expérience du curateur.
P.L. : J’ai cru comprendre que Miller ne parlait pas beaucoup de son travail. Existe-t-il un recueil quelconque des écrits de Miller concernant sa pratique, son attitude envers le médium en général, etc. ?
A.P. : En dehors de quelques lignes ici ou là, Lee n’a jamais fait de commentaires sur sa photographie dont nous ayons trouvé trace — juste quelques commentaires sur la colère qu’avaient déclenché chez elle des passants à Munich qui pensaient se rendre utiles en lui conseillant de ne pas prendre des photos en faisant face au soleil.
P.L. : Quel aspect du travail de Miller représente, à votre avis, sa contribution la plus importante au monde de la photographie ?
A.P. : Probablement sa production surréaliste et la manière dont son regard et son état d’esprit surréalistes ont orienté son travail dans la mode et le reportage. C’est ce qui la rend unique.
P.L. : Vous pensez que ces images étaient les plus importantes pour Miller en tant qu’auteure et également en tant que personne ?
A.P. : Oui, pas vraiment une image en particulier, mais un genre d’images — un style qui démontre qu’elle était une surréaliste. C’était important pour elle aussi en tant que personne, parce que les surréalistes étaient très engagés pour la paix, la liberté et la justice, ce que son travail souligne. En tant qu’artiste, elle devait trouver la métaphore et les connexions qui reposaient sous la surface. Elle avait fait sien l’axiome « Rien n’est vraiment ce qu’il paraît être ».
Lire l’interview dans son intégralité, dans la version anglaise de l’Œil