Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
A chaque fois que je pénètre dans une galerie ou dans une exposition. A chaque fois que j’ouvre un livre de photographies ou le portfolio d’une revue. Je subis tous ces intermédiaires qui m’avisent que je me trouve en présence de merveilleuses images. Ces dernières sont obligatoirement extraordinaires, puisque les photographies présentées sont de purs chefs-d’œuvres réalisés par un marginal toxicomane, par un ecclésiastique médiatisé, par un défenseur de la nature ou par une militante patenté. En conséquence, leur mode d’emploi m’est nécessaire et indispensable pour me permettre l’extase devant des séries de photographies, très souvent d’une piètre qualité, d’une médiocre créativité et d’insignifiants messages.
J’ai bien compris que dans l’air de nos temps actuels, il est incontournable de faire feu de tous bois pour générer considération et monnaie virtuelle. Mais ne devons-nous pas nous poser quelques instants et réfléchir devant nos constats quotidiens ? Ne devons-nous pas arrêter de croire à toutes ces excuses et autres adjectifs pour justifier l’injustifiable ?
Une photographie est bonne ou elle n’est pas terrible quand elle n’est pas franchement mauvaise. Ce n’est pas plus compliqué que cela ! Tous les habillages parasites, de toutes natures, sont sans aucun intérêt.
Que le, ou la, photographe soit perché sur un arbre, vautré à plat ventre sur un tas de fumier, pendu par les pieds ou la tête sous l’eau est du ressort de l’anecdote pour meubler les soirées d’hiver. Si la technique employée délivre une image de qualité cohérente. Si cette même image garantie une lisibilité en harmonie avec sa raison d’exister. Si l’indéfini proposé par l’image pénètre dans nos pensées pour générer des émotions, des sentiments, des rejets, des analyses, des bonheurs. Alors, la photographie est bonne. Ce principe sur la qualité et l’intérêt de l’image photographique se doit d’être rappelé, une fois de plus. Malheureusement, il demeure peu compréhensible par ces millions de nouveaux pseudo créateurs-photographes qui se persuadent faire des photographies sans en faire. Tout l’inverse de ce que découvrit ce bon Monsieur Jourdain avec la littérature !
Alors pourquoi notre environnement culturel actuel s’oblige-t-il à nous certifier que telle ou telle photographie serait géniale parce que réalisée par une femme ? Pire encore, cette parole redoutable : « … c’est une photographie de Femme … ». Comment une grande partie de nos sociétés a-t-elle pu en arriver à un stade aussi terrible que contre productif ? Non, l’image photographique – comme toutes les autres expressions créatives humaines – n’a pas de sexe, ni prédéterminé, ni indéterminé. Les méthodes dites des quotas ne font qu’exacerber les communautarismes aussi variés que multiples. Le principe de l’égalité des chances doit rester ouvert à toutes, et à tous, sans aucune autre distinction que la valeur intellectuelle et spirituelle des œuvres produites. Je ressentirai comme profondément humiliant que l’on me dise que je fais des photographies d’Homme et qu’elles soient exposées à ce seul titre.
Avec notre maîtrise, nous faisons toutes, tous et les autres des photographies. Un clic, beaucoup de travail, à la suivante et nous l’offrons aux regards des autres. Je rencontre des handicapés moteurs et sourds, des femmes et en sus d’origine africaine (tiens, ça, c’est la mode du moment), des anciens baroudeurs toujours athées, des homosexuels fantasques et bien d’autres qui me présentent des vraies photographies absolument merveilleuses. J’ai eu l’occasion d’interchanger volontairement les œuvres, des uns et des autres, sans aucune réaction percevable chez les visiteurs. « Si la photo est bonne que … » chantait Barbara. Arrêtons de nous faire déposer nos œuvres dans des casiers numérisés et nous avec, par la même occasion. En sus, dois-je vous rappeler que les œuvres produites ne reflètent pas toujours et obligatoirement la personnalité, ou le mode de vie, de leur auteur ? Le germe créatif reste tellement complexe, – et c’est tant mieux -. Cette volonté de contraindre et de limiter une œuvre à deux ou trois paramètres de vie de son auteur reste de la pure utopie alors qu’il y a une multitude d’espaces en interaction pour la naissance d’une seule image. Toutes ces tentatives de rationalisation à outrance de nos créations relèvent de cerveaux limités, voire incompétents. Ce n’est pas mieux avec les modes, dites – émotives -, qui actuellement ne réservent les expositions qu’aux œuvres d’origine féminine ou à celles issues d’auteurs ukrainiens. Cela s’appelle des opportunités qui encouragent toutes sortes de hordes à s’adapter pour envahir l’espace libre. Aujourd’hui, quelques créatrices de grands talents et quelques très bons auteurs sont eux-mêmes happés (malgré eux) par ces flots déferlants et deviennent caution de ce système, avec nivellement vers le bas garanti.
A défaut de photographies « féminines », je voudrais, au passage, rétablir quelques vérités sur toutes les femmes créatrices d’images photographiques à qui nous devons des œuvres sublimes. Les techniques de la photographie, assez scientifiques dans leurs utilisations effectives, sont très récentes à l’échelle de l’Humanité, première moitié du 19e siècle. C’est une époque où la curiosité féminine s’invite, avec succès, dans la médecine, la recherche, la finance, l’enseignement. Ainsi, dès l’origine, les femmes, malgré les contraintes techniques et surtout logistiques, se sont fait une vraie place dans l’univers photographique. Souvent, il est reproché le peu de noms féminins connus du grand public. Mais, il en est de même pour les hommes, combien de noms de grands photographes (entre l’arrivée de la photographie et 1950) sont connus de tous ? Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du 20e siècle que la personnalisation à outrance des auteurs a fait émerger des noms. Dès cette époque, les quelques rares écoles de photographies prestigieuses comptaient déjà presque autant de femmes que d’hommes avec des options dans toutes les spécialités. Mes professeurs de renom comptaient autan de femmes que d’hommes. Aujourd’hui, la surabondance de formations variées qui prétendent enseigner la photographie est majoritairement occupée par des femmes.
Au passage, il est bon de noter que si un circuit pédagogique apportait une certitude de talent à la fin de son parcours, cela finirait par se savoir. Les filles sont devenues, dans les jeunes générations, plus nombreuses à faire des photographies. Elles me présentent, dans mes lectures, moins souvent de mauvaises photographies que les garçons.
Non, cet objet qui est une image photographique n’a pas de sexe, pas plus qu’il n’a de religion ou d’éthique. Ce qui ne l’empêche absolument pas de véhiculer du sexe, des dogmes, des idées, des confrontations, des découvertes, des plaidoiries dans toutes les directions. Car si nos œuvres photographiques n’ont pas de sexe, elles ont certainement une âme. D’ailleurs, c’est ainsi que les photographies de nos prédécesseurs ont pu se faire accepter dans l’espace de l’Art … et c’est parfait.
Puisque nous terminons sur l’Art ! L’Art c’est précisément Universel. Alors arrêtons de nous revendiquer d’une communauté, d’une caste ou d’un genre pour exiger un droit de montrer nos œuvres. Se projeter dans l’évolution – à travers beaucoup de travail – me semble plus objectivement contribuer à l’origine du talent.
Thierry Maindrault 10 mars 2023
vos commentaires sur cette chronique et sa photographie sont toujours les bienvenus à