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Le Savoir Photographique

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Après soixante années de proximité et de distance avec la photographie, ce que je sais très bien, c’est que je ne sais rien. Cela est parfait compte tenu du nombre impressionnant de gens de tous âges que je rencontre et qui eux savent tout. Vous avez sûrement remarqué, tout comme moi, qu’à chaque fois que vous pointez le nez dans une exposition ou dans une galerie, l’auteur, s’il est présent, se sent obligé de nous expliquer – par le détail – comment il a pondu techniquement l’œuvre du siècle, voire du millénaire. Ce type de monologue devient croustillant lorsque c’est le responsable de la galerie ou le médiateur artistique de l’exposition, aussi ignare l’un que l’autre, qui vous livre – par le menu – l’inventivité du chérubin qui nous fait l’aumône de son savoir-faire.

La photographie, cet ensemble de techniques fabuleuses qui piègent la lumière, ça s’apprend. J’irai droit au but, il y a uniquement deux façons d’ingérer le plus de maîtrise possible à la hauteur de nos propres ambitions. La première est de passer entre les mains des maîtres incontestables. Je n’évoque pas les grands noms qui se répandent dans toutes sortes de séminaires (avec des consonances anglo-saxonnes) qui sont très rarement d’excellents techniciens et très souvent de tristes pédagogues. La seconde consiste à être autodidacte et à se plonger, corps et âme, dans l’abondante littérature qui, depuis maintenant deux siècles (pour les techniques chimiques et physiques) et au minimum dix mille ans  (pour les techniques graphiques et constructives), nous offre les clés de vrais travaux et la production d’œuvres techniquement acceptables. Il est évident que les deux cheminements vont se croiser, se côtoyer, s’imbriquer, se sublimer pour extraire l’utile et l’indispensable à notre développement imaginatif. Il est à noter que pour beaucoup de vrais photographes, les riches échanges entre confrères étaient des sources quasiment inépuisables, sauf pour les quelques solitaires un peu misanthropes, sur les bords … du cliché.

Quel merveilleux outil que cette photographie. En apparence si simple ; mais, dans la réalité, beaucoup plus compliquée que de tenir un pinceau, même si vous fabriquez vos couleurs et vos supports, par vous-même.

Alors questionnerez-vous, d’où provient cette indigence catastrophique actuelle, tant créative que technique ? C’est vrai pour les trop nombreuses images (maintenant chaque hameau de quelques habitants, produit une, ou plusieurs, expositions dans la salle des fêtes ou dans le hall de la mairie) qui sont offertes à la sagacité du public.

Pour inverser les priorités, je débuterai avec les autodidactes. Car dans ce cas, le problème est le plus simple. Il se dit que les jeunes prétendants à la connaissance ne savent plus lire en sortant des études supérieures, ce que j’ai pu vérifier, et de plus n’ont pas le temps d’apprendre. Le savoir se trouve donc dans l’intelligence artificielle d’un appareil de prise de vue et sur le quid d’un smartphone lors des galères. Tu envoies un fichier par internet au laboratoire, si possible le moins cher, le tour est joué. Personne, n’osera te dire que les photographies ne sont pas terribles  ? Cela fait maintenant un bail que l’on ne doit plus froisser psychologiquement les auteurs d’incompétences notoires.

Coté enseignement, c’est un peu beaucoup la Bérézina. Le nombre de professeurs est pourtant important dans le monde entier avec un nombre d’écoles, d’universités et autres offices éducatifs qui ont été multipliés par dix en moins d’un quart de siècle. S’il y a les écoles, il y a les professeurs dont plus personne ne vérifie les compétences techniques (je vous rassure, c’est la même chose dans une multitude de métiers). Compte tenu des besoins de toutes ces boites de formation à profits, nous n’y trouvons plus des pointures comme auparavant. Ce n’est pas vraiment mon genre ; mais, je vais essayer d’être indulgent avec tous ces sans grades à qui l’on confie la mission de former nos élites de l’image. Force est de constater que même les meilleurs de promotions (la crème de la photographie, ceux qui sortent de l’école avec un contrat sponsorisé et un nom couvert de médailles), avec qui j’entretiens quelques échanges, sont secs sur les fondamentaux des multitudes lois qui régissent la photographie. Ils sont tous aussi arides concernant les constances fondamentales de la perception chez la personne humaine qui s’interrogera devant une de leurs œuvres.

Cela fait longtemps que les corps professoraux ne s’interrogent plus sur leurs compétences personnelles intrinsèques pour se focaliser sur l’enseignement des idées. On n’apprend plus le rôle d’un diaphragme pas  plus que celui d’une focale, on s’explique plus la manipulation d’un grain d’argent pas plus que l’interaction de deux pixels, on enregistre plus le fondement culturel de la perception pas plus que l’impact comparatif d’une onde colorimétrique. Pourquoi toutes ces questions stupides alors que l’intelligence de l’appareil photographique s’en occupe pour peu que tu y mettes un prix exorbitant. Ce qui ne nous empêche pas d’être envahis d’images désastreuses issues de ces « Roll Royce » photographiques.

Notre corps enseignant est incapable de prodiguer quelques minima de physique, d’histoire de l’Art ou de morphologie élémentaire. Alors, il propage des vérités révélées sur ce que doit être la création, les dogmes créatifs pour leurs disciples, les théories fumeuses de l’instant (comme si des théories créatives avaient un sens pour une intelligence vive et non artificielle). Ils insistent avec les lois pour plaire (dommages qu’elles changent tous les deux/trois ans dans nos systèmes de communication actuels).

En un principe, le fond de la technique abdique au profit de la forme de l’idée. Tout un programme ! La planète change de sens de rotation et personne ne nous a avisé !

La nostalgie n’est pas mon fort et il faut aller résolument de l’avant.  Ils étaient quand même pas mal tous nos professeurs aux savoirs précieux et qui les partageaient avec cette pédagogie de la curiosité qui a fait de quelques-uns d’entre nous des passionnés reconnaissants.

Thierry Maindrault, 27 mai 2022

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