Michael James O’Brien : Tout n’est que perception
Photographe américain reconnu pour son approche humaniste et sa capacité à capturer la beauté dans la diversité des expériences humaines, Michael James O’Brien est également enseignant, conservateur, poète et activiste. Après avoir étudié l’art à l’Université de Yale, il a collaboré avec des magazines de renom comme Vogue, GQ et The New York Times Magazine, tout en travaillant avec des designers influents tels que John Galliano. Son œuvre, à la fois artistique et commerciale, explore des thèmes variés allant de la mode à l’identité de genre, en passant par les portraits intimes et les images publicitaires.
O’Brien est surtout acclamé pour son engagement à immortaliser des sujets souvent marginaux, notamment dans son célèbre projet Girlfriend, qui célèbre la culture drag et LGBTQ+. Son travail se caractérise par une sensibilité particulière au sujet, mettant en lumière la vulnérabilité, la force et l’humanité qui transparaissent dans chaque portrait. À travers ses photographies, il invite le spectateur à remettre en question les normes sociétales tout en découvrant la beauté sous de multiples facettes.
Actuellement basé à Atlanta, en Géorgie, il occupe le poste de président du département de photographie au Savannah College of Art and Design (SCAD). Par ailleurs, son travail s’expose un peu partout dans le monde et nombreuses de ses photos font parties des collections permanentes de grands musées.
www.michaeljamesobrien.com
www.scad.edu
Votre premier déclic photographique ?
Michael James O’Brien : J’étais déjà à l’université, Walker Evans était mon professeur/mentor. Je photographiais la maison où je vivais avec 5 autres personnes à Woodmont Ct. sur le Long Island Sound. Marie Boroff, ma brillante professeure d’anglais, a regardé les photos en noir et blanc et a dit : « C’est ainsi que le monde ressemblerait s’il n’y avait personne pour le voir. » C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me consacrer pleinement à la photographie.
L’homme ou la femme d’image qui vous inspire ou vous a inspiré ?
MJO : Brassaï. J’ai un souvenir inoubliable. J’étais à la Chambre Claire à St Sulpice, à Paris, en 1984, lorsqu’il est mort. La Une de Libération disait : « LA NUIT EST TOMBÉE SUR BRASSAÏ ». J’ai toujours ce journal.
L’image qui vous a le plus ému ?
MJO : Le portrait de Peter Hujar, Candy Darling on Her Deathbed (1973).
Et celle qui vous a mis en colère ?
MJO : Il y en a trop pour les nommer.
Quelle photo a changé le monde ?
MJO : Trop nombreuses pour les nommer.
Et quelle photo a changé votre monde ?
MJO : Father and Son Watching a Parade de Chris Killip (1982). Si je n’avais pas déjà été photographe, ce portrait m’aurait donné envie de le devenir.
Quelle est la dernière photo que vous avez prise ?
MJO : J’ai photographié Gilbert & George en mai 2024 dans leur maison de Spitalfields dans l’est de Londres. Je les avais photographiés pour la première fois en 1987. J’ai pris les récents portraits dans la même pièce. Il semblait que rien n’avait été dépoussiéré ou déplacé depuis ma première visite 37 ans plus tôt, mais G&G sont toujours aussi brillants et même plus pertinents. Quand je leur ai proposé de refaire exactement la même photo qu’à l’époque, George m’a dit : « Qu’est-ce qui n’allait pas avec la première ? »
Une image clé dans votre panthéon personnel ?
MJO : Mon portrait en noir et blanc du corsetier célèbre Mr. Pearl, NYC, 1994. Mon amie proche, la rédactrice Wendy Goodman, a dit de ce portrait : « C’est aussi formel et intemporel qu’une peinture de la Renaissance représentant un seigneur féodal. »
Un souvenir photographique de votre enfance ?
MJO : Assis dans une poussette sur le toit de la maison en grès rouge à Park Slope, où je suis né, alors que j’avais 9 ou 10 mois, entouré par trois parentes norvégiennes de ma grand-mère Marie. Ma mère pense que je ne peux pas m’en souvenir, mais je le confirme. Nabokov prétend se souvenir de sa vie avant sa naissance, donc ma mémoire très détaillée des femmes et du ciel à Brooklyn n’est pas si improbable.
Selon vous, quelle est la qualité nécessaire pour être un bon photographe ?
MJO : Un intérêt profond pour regarder et vraiment voir, ce qui sont deux choses différentes.
Qu’est-ce qui fait une bonne photo ?
MJO : Comme je le dis à mes étudiants au SCAD, où j’enseigne, une bonne photo doit être à la fois subjective (pourquoi le photographe l’a faite) et objective (pourquoi cela me concerne). En d’autres termes, elle a un impact plus fort si elle est à la fois actuelle et intemporelle.
La personne que vous aimeriez photographier ?
MJO : Ian McKellen.
Un livre de photographie indispensable ?
MJO : Nothing Personal de Richard Avedon & James Baldwin. J’ai transporté ce livre partout pendant des années à chaque leçon sur la photographie.
L’appareil photo de votre enfance ?
MJO : Je ne prenais pas de photos enfant.
Celui que vous utilisez aujourd’hui ?
MJO : Pentax 6×7.
Comment choisissez-vous vos projets ?
MJO : Je photographie des personnes ou des lieux avec lesquels je ressens un lien profond.
Comment décririez-vous votre processus créatif ?
MJO : Je peux avoir une idée en écoutant de la musique, en regardant un film ou en visitant une exposition. Quand elle émerge, je fais des recherches, je réfléchis beaucoup, je planifie, déplanifie, essaie de perdre toutes mes idées préconçues et de voir chaque angle, littéralement et conceptuellement. Je n’ai pas peur de naviguer à travers les difficultés d’accès.
Un projet à venir qui vous tient à cœur ?
MJO : En 2022, j’ai commencé re/Construction, une collaboration avec Ying Chen, une ancienne étudiante diplômée du SCAD qui fait de magnifiques collages. Je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup d’images que je revois régulièrement dans mes archives — bonnes, mais peut-être pas exceptionnelles — donc j’ai donné un accès complet à Ying, et elle démonte mes photographies et les réassemble. Nous travaillons sur une nouvelle série qui inclut des photos récentes et des clichés encore plus aléatoires pris avec mon iPhone lors de mes derniers voyages à Venise et à Londres : des personnes, des statues et des fleurs.
Votre drogue favorite ?
MJO : Le yoga avec mon incroyable instructeur, Jules Thine (@yogawithjul).
La meilleure façon de vous déconnecter ?
MJO : La natation et le yoga, 7 jours sur 7.
Qui aimeriez-vous être photographié par ?
MJO : Duane Michals.
Une image pour illustrer un nouveau billet de banque ?
MJO : James Baldwin.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut devenir photographe ?
MJO : Il est essentiel d’être obsédé par la photographie sous toutes ses formes, des cyanotypes à l’intelligence artificielle, et tout ce qu’il y a entre les deux. Intéressez-vous profondément au monde qui vous entoure et à tout ce qui s’y passe.
Votre plus grande extravagance professionnelle ?
MJO : Les livres.
La ville, le pays ou la culture que vous rêvez de découvrir ?
MJO : Le Chili.
Le lieu dont vous ne vous lassez jamais ?
MJO : Londres. Pour paraphraser Samuel Johnson, « Quand une personne est fatiguée de Londres, elle est fatiguée de la vie. » Je suis aussi obsédé par Venise. J’y vais depuis mon adolescence et je viens de m’y rendre pour la Biennale 2024. C’était plus magnifique que jamais et l’eau était plus vivante que jamais.
Votre plus grand regret ?
MJO : Ne pas avoir connu James Baldwin.
Concernant les réseaux sociaux, êtes-vous plutôt Instagram, Facebook, TikTok ou Snapchat, et pourquoi ?
MJO : Je les abhorre tous, mais je sais qu’ils sont nécessaires pour communiquer dans les mondes dans lesquels nous vivons actuellement. C’est une distraction, mais parfois on apprend quelque chose. J’utilise Instagram le plus souvent. Depuis mes débuts récents sur TikTok, je suis maintenant un membre honoraire de la génération Z !
Couleur ou noir et blanc ?
MJO : Noir et blanc.
Lumière du jour ou lumière artificielle ?
MJO : Lumière du jour. Je travaille avec la lumière naturelle 90 % du temps, même pour des projets commandés. Si je photographie à l’intérieur, j’utilise la lumière disponible. Il y a des années, inspiré par le brillant film de Kubrick Barry Lyndon, j’ai réalisé une série entière de mode en utilisant uniquement la lumière des bougies.
Quelle ville vous semble la plus photogénique ?
MJO : Tout le monde dit Rome, mais pour moi c’est Istanbul. La lumière sur le Bosphore est incandescente.
Si Dieu existait, lui demanderiez-vous de poser pour vous ou opteriez-vous pour un selfie avec lui ?
MJO : Je lui demanderais de poser en studio avec une machine à brouillard et beaucoup de paillettes.
Si je pouvais organiser votre dîner idéal, qui serait à table ?
MJO : David Bowie, James Baldwin, Cher, Nick Galitzine, Jalaluddin Rumi, Elizabeth Taylor, Frank O’Hara, Quentin Crisp, John le Carré, Claude Cahun, Shirley Bassey, Jean Genet, Tilda Swinton, Ian McKellen, Jean Cocteau, Elaine Stritch, Malcolm X. Je refuse d’être celui qui s’occupe du placement des invités !
L’image qui représente pour vous l’état actuel du monde ?
MJO : Helen and her hula-hoop, Seacoal Beach, Northumberland de Chris Killip. Bien que cette photographie date de 1984, pour moi elle reflète l’équilibre infini entre la lutte et l’espoir. (Chris Killip 1946-2022, publié par Thames & Hudson, 2022).
Selon vous, que manque-t-il dans le monde actuel ?
MJO : Le drishti, un mot sanskrit signifiant « vision » ou « point de focalisation ».
Si vous deviez tout recommencer ?
MJO : Je referais tout exactement de la même manière.
Que voulez-vous que les gens disent de vous ?
MJO : Que j’écoutais.
Une chose que l’on doit absolument savoir à votre sujet ?
MJO : Que j’écoute.
Un dernier mot ?
MJO : En avant !