Mathieu Forget : L’irréel en mouvement.
Mathieu Forget, alias Forgetmat, a su s’imposer comme une figure singulière de la photographie contemporaine. Dans ses images le corps en mouvement devient un manifeste artistique. Héritier d’un regard hybride, entre performance et image fixe, il transcende la gravité pour explorer une esthétique où l’instantanéité défie la logique physique. Son double héritage – sportif par son père, le tennisman Guy Forget, et artistique par sa formation en danse et en cinéma –, lui permet de développer une signature esthétique où le corps défie la gravité, fusionnant performance et photographie dans une quête d’apesanteur visuelle.
Son travail, d’une précision millimétrée, repose sur une approche quasi-scientifique du mouvement et de l’instant décisif, capturant des instants où la dynamique corporelle semble suspendue hors du temps. Contrairement aux illusions numériques et aux manipulations post-production, Mathieu mise sur l’authenticité de l’instant, jouant sur la gestuelle, la composition et l’architecture des lieux pour créer des images d’une intensité saisissante.
Présent sur la scène artistique internationale, il a collaboré avec des marques de prestige telles Cartier, Gucci et Adobe, tout en participant à des projets institutionnels majeurs, notamment en tant qu’ambassadeur pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. À travers son objectif, les athlètes sont deviennu des sculptures vivantes, leurs performances sportives s’élevant au rang de poésie visuelle.
Avec une approche qui conjugue technicité, narration et mise en scène, Mathieu Forget redéfinit les frontières entre photographie, danse et cinéma, imposant un regard où l’impossible devient tangible et où la gravité n’est plus qu’une convention à déconstruire.
Votre premier déclic photographique ?
Mathieu Forget : C’est une bonne question. Mon premier vrai déclic photographique remonte à une image que j’ai prise avec un ami, Zach Lipson, à Chicago. Ce fut, en quelque sorte, ma première photo virale : on m’y voit en pleine lévitation, flottant dans les airs. Ce cliché a marqué le début d’un parcours artistique qui m’a progressivement permis d’accepter cette envie de jouer avec la lévitation, de l’explorer et d’en faire une véritable signature visuelle. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me plonger plus sérieusement dans la photographie et d’en faire un terrain d’expérimentation. Si je me souviens bien, C’était en 2018.
L’homme ou la femme d’images qui vous inspire ou qui a pu vous inspirer ?
M.F. : Il y en a plusieurs. Yves Klein, tout d’abord, dont j’admire profondément le travail. Plus tard, Philippe Halsman a également été une source d’inspiration.
Curieusement, je n’ai pas énormément d’influences purement photographiques. Si je réfléchis bien, en cinéma, j’ai une grande admiration pour Denis Villeneuve, dont l’univers visuel me fascine. Au départ, mes inspirations venaient davantage du street art et du clip. D’ailleurs, Colin Tilley, un réalisateur américain qui a signé de nombreux clips marquants m’a énormément influencé.
L’image que vous auriez aimé prendre ?
M.F. : Une photo m’a profondément marqué : Dali Atomicus de Philippe Halsman. Cette image iconique met en scène Salvador Dalí en lévitation, entouré de chats et d’eau projetés dans les airs, créant une composition d’une audace saisissante. Bien en avance sur son époque, elle incarne un surréalisme pur, où le mouvement et la suspension défient les lois de la gravité. Je ne sais plus si des retouches ou des trucages étaient déjà utilisés à l’époque, mais l’impact visuel reste intact. Si je devais choisir une image que j’aurais rêvé de capturer, ce serait celle-là. Être le précurseur d’un tel style, à l’instar de Philippe Halsman, aurait été un véritable accomplissement.
Une image qui vous a mis en colère ?
M.F. : Je ne pense pas qu’une photo en particulier m’ait marqué de cette manière, en revanche, certaines images me bouleversent profondément, notamment toutes les images de guerre. Le travail des photographes couvrant les conflits, que ce soit à Gaza, en Israël ou ailleurs, suscite en moi une tristesse immense, parfois même de la colère. Mon approche est à l’opposé de ces représentations, mais j’ai un immense respect pour ces photographes de terrain qui capturent l’histoire en temps réel, souvent au péril de leur vie. Pourtant, dans un monde saturé d’images, leur impact devient paradoxalement plus puissant et plus troublant. Il est sidérant qu’aujourd’hui encore, de telles scènes continuent d’exister.
Une image qui a changé votre monde ?
M.F. : Cela peut sembler égocentrique, mais la photo qui m’a le plus marqué reste celle dont je parlais au début, prise avec mon ami. Ce fut un véritable déclic, un tournant décisif qui a influencé toute la suite de mon parcours. À l’époque, la photographie n’était ni une aspiration ni même une option envisageable pour moi. Je ne me voyais ni devant ni derrière l’objectif. Et pourtant, cette image a tout changé. Elle a été la clé qui a ouvert une porte vers un univers auquel je n’avais jamais réellement prêté attention.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans une image ?
M.F. : Pour moi, une belle image repose avant tout sur une harmonie géométrique. Je suis passionné par les lignes, l’architecture, les couleurs… La composition est essentielle. C’est pourquoi je parle d’harmonie : une image doit être pensée dans son équilibre, avec une construction réfléchie. Mais l’harmonie ne s’arrête pas à la géométrie. Elle se prolonge à travers la couleur, l’esthétique, cette cohérence visuelle qui rend une image captivante. Même en noir et blanc, ce qui m’attire, c’est toujours la structure, l’agencement des formes. Et si je devais ajouter un élément, ce serait la simplicité. Pour qu’une image soit belle, il ne faut pas qu’elle soit surchargée. Moins il y a de choses, plus l’impact est fort.
Quelle est la dernière photo que vous avez prise ?
M.F. : C’est une photo que j’ai prise au Petit Palais, avec mon téléphone. Elle capture un enfant devant une exposition dédiée au street art qui s’y déroulait. Ce qui me fascine dans cette image, c’est le contraste. J’aime jouer avec les contrastes en photographie, et ici, il est particulièrement frappant : des œuvres de street art, signées par des artistes mondialement connus, exposées dans un lieu aussi chargé d’histoire que le Petit Palais. Ce dialogue entre passé et modernité crée une tension visuelle que je trouve magnifique.
Une image clé de votre panthéon personnel ?
M.F. : Je dirais que ce sont les photos que j’ai prises en Turquie, sur le lac salé de Tuz Gölü, près de la Cappadoce, en 2021. Ce moment a été l’occasion de capturer une série d’images très épurées et minimalistes. Je sautais sur la surface du lac, et mon reflet dans l’eau créait un effet visuel presque irréel. Ce genre d’image, à la fois simple et graphique, résonne profondément en moi. J’ai aussi une autre série de photos qui me tient à cœur, prises lors de mes voyages d’enfance avec mes parents. Fasciné par les animaux exotiques, j’ai immortalisé des instants inoubliables : moi avec un anaconda, un koala… Jusqu’à mes 16 ans, j’ai eu la chance d’explorer le monde avec eux, et ces photos racontent l’émerveillement d’un enfant face à la nature et à sa diversité.
Selon-vous, quelle est la qualité nécessaire pour être un bon photographe ?
M.F. : Je dirais que c’est la curiosité. Cette capacité à s’émerveiller, à rester attentif au monde qui nous entoure. C’est une curiosité qui nous pousse à explorer, à se réinventer, à évoluer constamment. Tant qu’on reste curieux, on continue d’apprendre, de grandir et d’avancer. C’est un moteur essentiel, non seulement dans la création, mais aussi dans la vie en général.
Qu’est-ce qu’une bonne photo pour vous ?
M.F. : C’est avant tout une image qui raconte une histoire et qui suscite une émotion.
Une personne que vous aimeriez photographier ?
M.F. : J’aimerais beaucoup photographier Pharrell Williams. Et aussi prendre une photo avec lui.
Un livre photo indispensable ?
M.F. : La Terre vue du ciel de Yann Arthus Bertrant.
L’appareil photo de votre enfance ?
M.F. : C’est le petit Kodak jetable, celui que l’on prend lorsqu’on part en vacances.
Et celui que vous utilisez aujourd’hui ?
M.F. : Aujourd’hui, c’est un Sony A1.
Comment choisissez-vous vos projets ?
M.F. : En général, il s’agit d’un alignement de plusieurs facteurs. C’est une question de timing, de trouver l’endroit et le moment parfaits. Parfois, l’inspiration vient d’un lieu qui m’attire, et je me dis que j’aimerais y revenir pour photographier ou raconter une histoire. D’autres fois, c’est une commande ou un projet qui se présente et qui m’interpelle. Et puis, il y a les rencontres, qui jouent un rôle clé. En réalité, ce sont souvent trois éléments qui entrent en jeu : le lieu, la rencontre et même la tenue. Ce sont ces trois aspects qui détermineront si c’est le bon moment pour lancer un projet.
Une réalisation qui vous tient particulièrement à cœur ?
M.F. : Mon premier livre photo, sorti en mi-octobre dernier : « Sport in the Air », ou « Faire voler le sport » en français, Faire voler le sport. Ce livre retrace tout le projet artistique et athlétique que j’ai développé en collaboration avec Paris 2024 et les Jeux Olympiques depuis maintenant deux ans. J’ai eu l’honneur d’inviter plus de 35 athlètes olympiques et paralympiques à participer à cette aventure créative.
Votre drogue préférée ?
M.F. : Le mouvement.
La meilleure façon pour vous de déconnecter ?
M.F. : J’ai deux réponses à cette question : une plutôt négative et une autre plus saine. La mauvaise, c’est de me retrouver dans une situation où je suis obligé de m’arrêter, comme me blesser ou tomber malade – ce qui, bien sûr, n’est pas la solution idéale. Mais de manière plus constructive, ma façon de déconnecter, c’est de jouer aux jeux vidéo. Ça peut surprendre, mais parfois c’est la seule manière pour mon esprit de vraiment se poser. Mon métier est tellement passionnant, avec une création constante, que mon cerveau et mon corps sont toujours en mouvement. Quand je ne danse pas, je prends des photos. Je pense que beaucoup de gens qui vivent un rythme similaire au mien ressentent la même chose : toujours devoir réfléchir, toujours créer. Mais les jeux vidéo, c’est un moyen de couper totalement, même si, je l’avoue, c’est un peu risqué pour l’équilibre.
Quel est votre rapport personnel à l’image ?
M.F. : C’est un lien très fort, car il a nourri tous les projets artistiques que je mène aujourd’hui. Cela a commencé avec les clips de tous ces artistes que je voyais à la télévision, comme Michael Jackson, Justin Timberlake, ou encore les danseurs qui les entouraient. Ce que j’aimais aussi, était de voir leurs performances physiques et artistiques. En réalité, derrière chaque film, il y a une série de photos en mouvement, et c’est cette composition – les décors, les corps en mouvement, les costumes – qui a capté mon attention. Pour moi, c’est là que réside le rêve, un rêve profondément ancré dans l’image.
Par qui aimeriez-vous vous faire photographier ?
M.F. : J’aurais adoré être photographié par Erwin Olaf.
Votre dernière folie ?
M.F. : Ma dernière folie c’est de prendre un billet d’avion pour partir de l’autre côté du monde.
Une image pour illustrer un nouveau billet de banque ?
M.F. : Ce serait un homme et une femme en train de s’embrasser dans les airs.
Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
M.F. : Chef !!! J’ai une véritable admiration pour les chefs, car je suis tellement mauvais en cuisine que je vois en eux de véritables artistes. Cependant, je ne pense pas que j’aurais voulu être chef, surtout en voyant la pression et les heures interminables que ce métier implique. Il y en a qui s’en sortent brillamment, et je connais de grands chefs, mais malgré tout, je ne me vois pas dans cette voie.
Quelle est votre plus grande extravagance professionnelle à ce jour ?
M.F. : Sans hésiter, danser avec Taylor Swift sur la scène des MTV Music Awards. C’est un rêve d’artistique pur. Et puis, j’ai aussi eu l’opportunité d’être la mascotte Tony le Tigre pour Frosty pendant deux ans. Il y a une image où vous me reconnaissez clairement, et une autre où ce n’est pas du tout évident que c’est moi. Mais dans les deux cas, c’était une expérience vraiment géniale.
Quelle est la question qu’on pourrait vous poser, et qui vous ferait sortir de vos gonds ?
M.F. : À quel moment comptes-tu t’arrêter ?
Quelle est la dernière chose que vous avez faite pour la première fois ?
M.F. : J’ai ré-ouvert un livre. Oui, je me suis remis à lire… un peu ! Ça n’a pas duré, mais c’était un début.
La ville, le pays ou la culture que vous aimeriez découvrir ?
M.F. : Le Japon.
L’endroit dont vous ne vous lassez jamais ?
M.F. : Je dirais… La douche (rires).
Votre plus grand regret à ce jour ?
M.F. : Je ne suis pas homme à avoir des regrets. Mais, j’ai interrompu ma carrière tennistique alors que j’étais à mon meilleur niveau, sans vraiment savoir jusqu’où j’aurais pu aller. C’était une décision difficile, marquée par une incertitude quant à l’avenir que j’aurais pu construire dans ce domaine.
Quel est votre réseau social préféré ?
M.F. :Instagram, sans hésitation. C’est la plateforme qui fonctionne le mieux pour moi aujourd’hui et celle sur laquelle j’ai fait mes premiers pas. Surtout, elle reste centrée sur l’image, ce qui correspond parfaitement à mon univers visuel.
Couleur ou noir et blanc ?
M.F. : Couleur évidemment.
Lumière du jour ou lumière studio ?
M.F. : Lumière du jour, j’aime la lumière naturelle.
Selon vous, quelle est la ville la plus photogénique parmi les villes que vous connaissez ?
M.F. : Tout dépend du style recherché. Si je devais choisir, je dirais peut-être Paris pour la beauté intemporelle de ses monuments. Mais New York s’impose aussi comme la ville la plus photogénique, simplement parce qu’elle regorge de possibilités visuelles infinies.
Si Dieu existe, est-ce que vous aimeriez poser avec lui ou le faire poser pour vous ?
M.F. : Je poserais à ses côtés sans hésiter. Je capturerais une image forte avec lui, mais certainement pas un simple selfie. Je resterais fidèle à mon approche, mais cette fois, ce serait probablement lui qui me mettrait en scène. S’il existait réellement, je suis convaincu qu’il aurait toutes les clés pour sublimer cet instant.
Si je pouvais organiser votre dîner idéal, qui serait autour de la table ?
M.F. : Je pense que je ferai un dîner qui mélange artistes, sportifs et musiciens. Si je devais dire des noms, ça pourrait être Raphaël Nadal, Hugh Jackman, Pharrell Williams, Meryl Streep et une autre grande femme que j’aime bien, Mata Amritanandamayi (aka Mahatma Amma), cette indienne célèbre pour faire des câlins.
L’image qui, selon vous, représente l’état actuel du monde ?
M.F. : Celle du yin et du yang. Il y a un côté très beau, très blanc, très harmonieux, mais en même temps, dans ce monde, il existe aussi ce côté sombre, très noir, rempli de haine et de guerre. Et pourtant, les deux coexistent.
Qu’est-ce que vous auriez fait si vous aviez dû tout recommencer ?
M.F. : Je pense que j’aurais fait un autre sport que le tennis. Du basket ou du foot.
Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous ?
M.F. : Que j’étais quelqu’un de gentil et qui a inspiré.
Une chose que l’on doit absolument savoir si l’on veut être votre ami ?
M.F. : Que je suis quelqu’un qui dit souvent oui à la vie. Parfois un peu trop.
Un dernier mot pour conclure cette interview ?
M.F. : J’adorerais que tout le monde puisse vivre de sa passion, ou en tout cas, se donne les moyens de découvrir ce qui les passionne vraiment. J’aimerais qu’en lisant cet interview, les gens puissent prendre le temps de réfléchir à cela et réussir à transformer leurs rêves en réalité.
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