Laure Adler & Clara Bouveresse : La photographie comme outil.
Laure Adler est une figure culturelle engagée, dont le travail a contribué à enrichir la réflexion sur la condition féminine et sur la place des femmes dans les arts et la société. Journaliste, écrivaine, productrice de radio et historienne française, elle est reconnue pour ses travaux sur l’histoire des idées, les arts et les questions de société. Elle a mené une carrière riche et variée, s’imposant comme une figure incontournable du paysage culturel en France.
Clara Bouveresse quant à elle, est historienne de la photographie, chercheuse et auteure française spécialisée dans l’histoire des femmes photographes. Elle s’intéresse particulièrement à la manière dont les femmes ont contribué à l’évolution de ce médium artistique et à leur rôle dans la photographie documentaire et artistique. Elle a cherché à réhabiliter et mettre en lumière des figures féminines souvent oubliées ou marginalisées dans les récits traditionnels de l’histoire de l’art.
C’est à l’occasion de la sortie du livre qu’elles ont co-écrit : « Les femmes photographes sont dangereuses », que Laure Adler et Clara Bouveresse ont accepté de se prêter au jeu de notre questionnaire. Cet ouvrage explore l’histoire et le rôle des femmes dans la photographie. Le titre provocateur vise à mettre en lumière l’impact des photographes féminines sur l’art et la société, soulignant comment leur travail a souvent été sous-estimé ou ignoré, tout en exerçant une influence puissante et parfois subversive.
Le livre retrace le parcours de nombreuses femmes photographes à travers l’histoire, de pionnières comme Dorothéa Lange, Diane Arbus, et Vivian Maier, à des artistes plus contemporaines. Il montre comment ces femmes ont utilisé la photographie comme un outil de revendication, de documentation et d’expression personnelle, souvent en dépit des préjugés sociaux ou des obstacles professionnels.
En qualifiant ces femmes de « dangereuses », les auteurs rappellent que leur travail a parfois déstabilisé les normes établies, remis en question des cadres sociaux ou politiques, et a élargi les horizons de la photographie elle-même. Elles ont pris des risques, que ce soit en documentant des réalités dures ou en expérimentant des styles visuels inédits.
Cet ouvrage se veut donc une reconnaissance non seulement du talent et de la vision unique des femmes photographes, mais aussi de leur contribution fondamentale à l’évolution de l’art photographique et à la société en général.
Instagram : @clara_bouveresse @flammarioninternational
« Les Femmes photographes sont dangereuses » de Laure Adler & Clara Bouveresse. (Editions : Flammarion)
Votre premier déclic photographique ?
Laure Adler : Très tardivement.
Clara Bouveresse : C’est difficile à dire, parce que la photographie est omniprésente dans nos vies au quotidien. Les premières images qui m’ont marquée sont les photos de familles que je voyais chez mes grands-parents. Ensuite, en France, on peut croiser des classiques de la photo humaniste (Boubat, Doisneau) dans la salle d’attente du docteur, dans les couloirs des écoles… c’est un imaginaire très présent.
L’homme ou la femme d’image que vous aimez particulièrement ?
Laure Adler : Marylin Monroe
Clara Bouveresse : Il y en a tellement ! Rien que toutes celles qui sont dans notre livre, ça fait beaucoup !
L’image que vous auriez aimé prendre ?
Laure Adler : N’importe quelle image de Cindy Sherman.
Celle qui vous a le plus émue ?
Laure Adler : La photo de « La petite fille au napalm » au Vietnam de Nick Ut.
Clara Bouveresse : Je suis très touchée par les photographies d’arbres de Martine Franck, qui invitent à la méditation poétique, par exemple.
Et celle qui vous a mis(e) en colère ?
Laure Adler : N’importe quelle photo montrant la violence des hommes, et il y en a beaucoup.
Quelle photo a changé le monde ?
Laure Adler : L’image du champignon atomique sur Hiroshima, peut-être.
Et quelle photo a changé votre monde ?
Laure Adler : Des photos de ma mère petite.
Clara Bouveresse : C’est un grand débat dans l’histoire de la photographie : quel est le pouvoir des images ? Si on attend d’elles qu’elles changent le monde, on risque d’être déçus. Mais cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas nous bouleverser et nous mobiliser : les exemples sont innombrables.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans une image ?
Laure Adler : Sa composition.
Clara Bouveresse : J’aime bien les photographies qui m’ouvrent de nouvelles perspectives, qui me font changer d’avis ou me permettent de me déplacer.
Quelle est la dernière photo que vous avez prise ?
Laure Adler : Une photo de ma petite fille.
Clara Bouveresse : Je poste des photos de photos sur Instagram : généralement, les images qui m’ont le plus marquée dans une exposition, par exemple.
Une image clé dans votre panthéon personnel ?
Laure Adler : Celle de Simone de Beauvoir avec Jean-Paul Sartre aux Deux magots réinventant le monde.
Clara Bouveresse : Je citerais, pour donner un exemple, le portrait d’une joueuse de foot par Abigail Heyman en 1972 : elle serre son ballon dans les bras et regarde au loin d’un air absorbé, c’est pour moi l’incarnation de la détermination, de la force et de la concentration.
Un souvenir photographique de votre enfance ?
Laure Adler : Un seul, car nous faisions très peu de photo, c’était en Afrique ma mère avec ma sœur sur un pont en liane.
Selon vous, quelle est la qualité nécessaire pour être un bon photographe ?
Laure Adler : Se faire oublier.
Clara Bouveresse : Souvent, c’est un art de la relation, de trouver la juste distance avec les autres, de savoir nouer des liens.
Et qu’est-ce qui fait une bonne photo ?
Laure Adler : Son architecture.
Clara Bouveresse : Si on avait la réponse à cette question, ce serait dommage !
La personne que vous aimeriez photographier si vous en aviez l’occasion ?
Laure Adler : Martha Argerich.`
Un livre photo indispensable ?
Laure Adler : « Photographie au saut du lit » de Clara Bouveresse.
Clara Bouveresse : Ground Noise de Céline Clanet est un des livres qui m’a le plus marquée ces dernières années.
L’appareil photo de votre enfance ?
Laure Adler : Je n’ai pas eu d’appareil enfant.
Clara Bouveresse : J’ai pris mes premières photos avec des appareils jetables, j’aimais bien la surprise d’ouvrir l’enveloppe avec les tirages chez le photographe et le suspense qui précédait.
Celui que vous utilisez aujourd’hui ?
Laure Adler : Mon iphone.
Votre drogue favorite ?
Laure Adler : La lecture.
Le meilleur moyen de déconnecter pour vous ?
Laure Adler : Couper le portable.
Quelle est votre relation personnelle à l’image ?
Laure Adler : Je l’ai regardé beaucoup, et je la regarde encore beaucoup à travers les pubs, les enseignes lumineuses, les images dans les magazines…j’y suis très sensible. Je regarde les images de la télé, des séries et du cinéma. Je vie en perpétuel bain d’images.
Quelle image avez-vous de vous ?
Laure Adler : Pas bonne.
Par qui aimeriez-vous être photographiée ?
Laure Adler : Par Cindy Sherman.
Votre dernière folie ?
Laure Adler : Économiser pour acheter une photo de Cindy Sherman.
Une image pour illustrer un nouveau billet de banque ?
Laure Adler : Simone Veil.
Votre plus grande extravagance professionnelle ?
Laure Adler : Trop travailler.
Quelle question pourrait vous déstabiliser ?
Laure Adler : Savez-vous ne rien faire ?
Quelle est la dernière chose que vous avez faite pour la première fois ?
Laure Adler : Découvrir, les derniers jours des Rencontres d’Arles, le travail et l’œuvre de Mary Ellen Mark.
La ville, le pays ou la culture que vous rêvez encore de découvrir ?
Laure Adler : L’Amazonie.
Le lieu dont vous ne vous lassez jamais ?
Laure Adler : N’importe quel bord de mer.
Clara Bouveresse : Toutes les bibliothèques : par exemple, celle de la Maison Européenne de la photographie est une mine extraordinaire.
Votre plus grand regret ?
Laure Adler : Ne pas être psychiatre.
Les réseaux sociaux ont-ils selon vous changé notre rapport à l’image ?
Laure Adler : Oui bien sûr, en bien et en mal.
Clara Bouveresse : Oui, même si certaines pratiques existaient déjà avant, comme la photographie-trophée, l’autoportrait compulsif…
A titre personnel, êtes-vous plutôt Instagram, Facebook, TikTok, et pourquoi ?
Laure Adler : Instagram car beaucoup d’images.
Clara Bouveresse : Instagram est pratique pour se tenir au courant de l’actualité des photographes, des institutions et des éditeurs.
Couleur ou N&B ?
Laure Adler : N&B.
Lumière du jour ou lumière studio ?
Laure Adler : Lumière du jour.
Quelle ville vous semble la plus photogénique ?
Laure Adler : La mienne, Paris.
Si Dieu existait, lui demanderiez-vous de poser pour vous ou préféreriez-vous un selfie avec lui ?
Laure Adler : Un selfie avec lui.
Si je pouvais organiser votre dîner idéal, qui serait à table ?
Laure Adler : Le Dalai Lama, Le Pape François et Annie Ernaux.
L’image qui représente pour vous l’état actuel du monde ?
Laure Adler : Une ville péri urbaine avec des tags, la beauté des inscriptions sur les murs et les jeunes qui dansent.
Selon vous, qu’est-ce qui manque dans le monde d’aujourd’hui ?
Laure Adler : La paix.
Si vous deviez tout recommencer ?
Laure Adler : J’adorerais.
La chose essentielle que l’on doit savoir sur vous ?
Laure Adler : La fidélité
Pensez-vous vraiment que les femmes photographes soient dangereuses ?
Laure Adler : Oui car la plupart du temps elles ont pris des risques : que ce soit sur le front des guerres et des révolutions pour les femmes reporters , des risques personnels en s’emparant de sujets qui appartenaient aux hommes et en se faisant critiquer ou ridiculiser .
Clara Bouveresse : Le titre subvertit de façon ironique les peurs suscitées par les femmes qui s’aventurent dans des domaines nouveaux. Elles sont dangereuses dans la mesure où elles prennent des risques, bousculent les conventions sociales et imaginent des alternatives. Elles nous invitent à sortir des cadres et à changer notre regard.
Un dernier mot ?
Laure Adler : Ce n’est qu’un début.