Anne Garde : Photographe Voyageuse
Après des études d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre et une maîtrise de sociologie décrochée à la Sorbonne, Anne Garde décide de se consacrer à « ce que l’œil ne voit pas » et se tourne vers la photographie pour s’exprimer. Passionnée par les voyages aussi, elle fait de nombreux allers-retours entre l’Inde et les Landes qui lui inspireront plusieurs ouvrages.
Très tôt dans son parcours d’artiste elle est happée par la photographie d’architecture, et
s’intéresse particulièrement aux sites industriels et aux lieux de mémoire. Ceux-ci vont d’ailleurs lui inspirer une œuvre plastique novatrice. Elle aime planter le décor, proposer des contes photographiés, ce qui fait que de ses images émanent la magie des lumières et couleurs qui comme un maquillage embellissent des lieux dont la modernité appartient au passé.
« Je cherche à éclairer ce qui est resté dans l’ombre. L’ombre du souvenir, l’ombre du refoulé, l’ombre de l’histoire… » Anne Garde
Très concernée par les modes de vie et les cultures qu’elle découvre – mais aussi leurs oppressions, l’exploitation humaine, la violence et la guerre, son travail saisit à la fois la politique et l’esthétique de ces sociétés. Voir et non pas regarder, telle est sa devise Ses images, sont d’ailleurs fascinantes et captivantes au-delà du réalisme qu’elles donnent à voir, livrant ainsi une vérité qui lui est propre.
Parallèlement, Anne travaille pour les magazines internationaux, pour les grandes maisons de luxe, pour l’édition et la publicité.
Mais pour l’heure, elle se livre au travers de notre Questionnaire…
Website : www.annegarde.com
Instagram : ann.garde
Votre premier déclic photographique ?
Anne Garde : Lorsque mon frère ainé, alors militaire en Algérie m’a emmenée passer des « vacances » étranges chez des amis pendant la guerre j’avais 11 ans…ma maman m’avait offert un Brownie Flash, je l’ai toujours… ! j’ai vu la guerre de près, ma vie de photographe a commencé et ce qui a déclenché ma passion est la suite : la famille chez qui je logeais m’a demandé des photos, ils les ont beaucoup aimés et m’ont demandé les négatifs pour les faire tirer. La poste les a perdu, c’est cette perte qui a déclenché ma passion irréversible pour la photographie.
© Anne Garde
L’homme ou la femme d’image qui vous inspire ?
Anne Garde : C’est plus une femme de lettres, mais elle a aussi créé des images envoutantes, c’est sans aucun doute Marguerite Duras dont j’admire l’intelligence et sa pensée singulière qui ne ressemble à rien. J’aime ses films, India Song est celui qui me touche le plus.
L’image que vous auriez aimé réaliser ?
Anne Garde : J’ai eu la chance de rencontrer Satyagit Ray à Calcutta lors de mon premier voyage en Inde. J’étais une jeune photographe et cet homme immense dans tous les sens du terme m’a si impressionné que je n’ai pas pu le photographier. Il a écrit pour moi une lettre de recommandation en bengali que je garde précieusement.
© Anne Garde
Celle qui vous a le plus ému ?
Anne Garde : J’adore les polaroids mélancoliques de Andrei Tarkovski qui est aussi un de mes maîtres. Mon film culte est le Stalker qui est sorti au moment où je créais mes premières installations dans la Base sous Marine de Bordeaux. Cette coïncidence m’a confortée dans mon intérêt et mon amour pour les films de Tarkovski.
Celle qui vous a mis en colère ?
Anne Garde : Il y en a beaucoup, surtout aujourd’hui ! Je ne m’attarde pas sur les images toxiques.
Une image clé de votre panthéon personnel ?
Anne Garde : Mon grand-père Albert Neveu lithographe qui, dit la légende, dessinait des éventails pour Sarah Bernhardt. Je ne l’ai pas connu, mais il était beau et élégant…
Une des premières images de l’Inde en N et B
Mes premières images de Calcutta ont eu la chance d’être publiées dans le journal culte « Egoiste » de Nicole Wisniak.
Ces images ont aussi déclenché mon premier livre sur l’Inde « Salon Indien » aux éditions Hazan et aux US et UK.
Cependant, les images qui s’impriment le plus dans la mémoire sont parfois celles que l’on a pas pu faire… !
Lorsque je suis arrivée la première fois à Delhi, je n’oublierai jamais la vision sonore du plafond de l’aéroport qui n’était qu’un champ de ventilateurs dont les pâles se touchaient presque et qui tournoyaient toutes ensemble dans une atmosphère totalement irréelle, entre un film d’horreur et un film surréaliste à la Bunuel.
Puis, ce fut la remontée de Raj Path vers les bâtiments de Sir Edwin Lutyens l’architecte du Rashtrapati Bawan, le Palais du Gouvernement qui se découvre au bout de l’avenue de 3 km derrière la colline basse du Raisina dans l’Ambassador noire de Francis Wacziarg, qui fut notre passeur. Ce long travelling au ralenti à l’heure torride et blanche de midi a déclenché le premier et définitif ravissement qui ne s’est jamais démenti.
Un souvenir photographique de votre enfance ?
Anne Garde : Une photo de mon père avant ma naissance au Stalag n°7 où il a passé 5 ans dans ce camp de concentration pendant la guerre.
Sans limite de budget, quelle serait l’œuvre d’art que vous rêveriez d’acquérir ?
Anne Garde : Une grande peinture d’Ana Eva Bergman à la feuille d’or ou d’argent.
Selon vous, quelle est la qualité nécessaire pour être un bon photographe ?
Anne Garde : Je dis souvent que je photographie les yeux fermés, c’est le regard intérieur qui fait la puissance d’une photographie.
Le secret de l’image parfaite, s’il existe ?
Anne Garde : Il n’y a pas d’image parfaite, ce qui est beau, c’est justement un défaut, un petit détail qui a raté qui subitement fait apparaître dans l’image la recherche du nombre d’or, ou le punctum comme l’appelle Roland Barthes qui a écrit les plus belles pages sur la photographie.
La personne que vous aimeriez photographier ?
Anne Garde : Une princesse persanne qui vivait au Pakistan et dont je n’ai plus de nouvelles…
Le photographe par qui vous aimeriez vous faire « tirer le portrait » ?
Anne Garde : Comme beaucoup de photographes, j’ai horreur que l’on me photographie…mais j’aurai bien aimé Robert Mapplethorpe dont j’aime le portrait de Kathy Acker en 1983.
© Robert Mapplethorpe
Un livre de photos indispensable ?
Anne Garde : J’adore Saul Leiter depuis longtemps, maintenant on va en faire un nouveau « produit » à la mode, mais moi je regarde ses photos qui m’enchantent depuis les années 80, mon premier voyage à NY.
L’appareil photo de votre enfance ?
Anne Garde : Un Brownie Flash que j’ai gardé précieusement
Celui que vous utilisez aujourd’hui ?
Anne Garde : L’Hasselblad, le plus beau des moyen-formats ou bien le Mamiya 7, quand ce n’est pas la chambre 4X5 inches ! je ne veux plus photographier qu’en moyen ou grand format. Quant au numérique, je me sers désormais du dernier IPhone avec 3 optiques dont un grand angle, car le résultat est le même qu’avec un appareil lourd. On peut faire un tirage d’un mètre ! Demain, il n’y aura plus que ce genre d’outil…pour le numérique.
Moi, je suis une photographe argentique et pour mes productions artistiques, je n’utilise pas le numérique.
Votre drogue préférée ?
Anne Garde : Les voyages vers des pays que j’aime.
Le meilleur moyen de déconnecter pour vous ?
Anne Garde : Nager jusqu’au Boucalot au Port Vieux à Biarritz, me confondre avec Oceano, le seul Dieu que je vénère … !
Quelle est votre relation personnelle avec l’image ?
Anne Garde : Marguerite Duras privilégier les mots à l’image, elle avait sûrement raison, car aujourd’hui l’image est et sera totalement dévoyée par l’électronique. On lui fera dire tout et n’importe quoi.
Ce que je pense, c’est que l’image est sacrée, telle une icône.
Précisément l’image provenant de la captation analogique sur un support chimique, quand Nicéphore Niepce enduit du bitume de Judée sur une plaque d’argent et invente la photographie. On parle aussi aux origines de la photographie du Suaire de Turin, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais vous voyez bien que l’origine de la photographie flirte avec le Mystère.
Votre plus grande qualité ?
Anne Garde : La persévérance, quand je crois à ce que je fais !
Votre dernière folie ?
Anne Garde : Prendre un vol pour l’Inde après une opération « Frankenstein » à la suite d’une thrombose de l’artère fémorale due au vaccin Pfizer pour me réparer !
Une image pour illustrer un nouveau billet de banque ?
Anne Garde : Un bel animal prédateur comme le guépard… !
Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
Anne Garde : Collaborateur, fonctionnaire des finances.
Et si vous n’étiez pas devenu photographe ?
Anne Garde : Je ne sais pas, aucune option, l’image m’a habitée dès le début !
Votre plus grande extravagance professionnelle ?
Anne Garde : La chance que nous avons eu de rencontrer Jean Louis Dumas président d’Hermès qui a aussi créé le sac Birkin de croire en notre projet sur les Routes de la Soie et qui a permis que nous déroulions un fil de soie Hermès que j’ai choisi rouge tout au long de ces routes qu’aujourd’hui on ne peut même plus parcourir pour certaines, Asie centrale, Xinjiang, Inde du nord…. Un projet de paix et de rencontres entre les peuples qui a donné lieu à un livre « Sur les Routes de la Soie-Albin Michel » et à une exposition internationale.
Selon vous, quels sont les ponts entre la photographie et la photographie d’art ?
Anne Garde : La photographie générée par le système et les business divers qui amène les gens à pratiquer est juste de la pollution numérique qui fait chauffer les data center !!.
La photographie d’art et des artistes qui ont voué leur vie au Médium, c’est un autre monde.
Un artiste quelque soit sa pratique, c’est quelqu’un qui voue sa vie à son œuvre, et qui bataille souvent pour la justifier et la faire connaître, donc la partager.
La ville, le pays ou la culture que vous rêvez de découvrir ?
Anne Garde : Les pays du Nord, où la vie est dure à vivre. Je ne me sens pas proche du farniente de la Méditerranée…
L’endroit dont vous ne vous lassez jamais ?
Anne Garde : L’Inde immense et mystérieuse.
Votre plus grand regret ?
Anne Garde : Je n’ai pas de regret, ça ne sert à rien, j’essaie d’aller de l’avant
En termes de réseaux sociaux, êtes-vous plutôt Instagram, Facebook, Tik Tok ou Snapchat et pourquoi ?
Anne Garde : Forcément, aujourd’hui on doit faire avec, mais je préfère la vie d’avant où on se retrouvait par surprise au café, au marché, au musée ou nulle part ailleurs…Les RS sont manipulés par les grands manipulateurs, alors, bien sûr, je publie surtout pour des amis lointains et parce qu’on ne sait plus communiquer autrement, mais je désapprouve ce système qui tend à détruire l’humanité.
Qu’est-ce que le numérique et les smartphones ont enlevé ou apporté à la photographie ?
Anne Garde : C’est un sujet qui mériterait plus que de deux lignes. Mais juste dire que le numérique, c’est le projet de détruire la mémoire.
Si il n’y avait pas eu la pellicule, il faut encore dire et affirmer que les images de Lee Miller et bien d’autres n’auraient pas pu prouver que les camps nazis de la mort aient existés.
La pellicule est une preuve irréfutable, ce que ne sera pas le numérique !
Couleur ou N&B ?
Anne Garde : Moi, j’aime les deux, pourquoi se cantonner à un seul champ ? Greenaway dont j’adore « Meurtre dans un Jardin Anglais » parle savamment du passage chez son maître le grand Eisenstein du Noir et Blanc à la couleur.
Lumière du jour ou lumière artificielle ?
Anne Garde : J’aime la lumière du jour et je sais la téléporter parfois pour éclairer ce qui est sombre…
Votre cœur balance-t-il davantage vers l’argentique ou le numérique ?
Anne Garde : Définitivement, je défendrai toujours l’argentique qui est une invention de magicien !
Quelle ville est, selon vous, la plus photogénique ?
Anne Garde : Bordeaux la nuit, comme je l’ai photographiée dans « Bordeaux la Lune », mon premier livre…
Si Dieu existe, une fois arrivée au paradis, lui demanderiez-vous de poser pour vous, ou opteriez-vous pour un selfie avec lui ?
Anne Garde : Je ne crois pas en Dieu
Si je pouvais organiser votre dîner idéal, qui serait à table ?
Anne Garde : Pas trop de monde, j’ai horreur des banquets ! Des amis raffinés avec lesquels j’aimerai échanger… malheureusement, certains ont déjà définitivement quitté la table !
L’image qui représente pour vous l’état actuel du monde ?
Anne Garde : Je ne sais pas, je ne veux pas faire la promo de l’état actuel du monde parce que c’est plus laid que beau, il y a des bons photographes pour ça comme Martin Parr devenu ultra célèbre pour avoir montré l’humanité pathétique d’aujourd’hui …
Qu’est-ce qui manque dans le monde d’aujourd’hui ?
Anne Garde : L’amour de la Beauté et de la Loyauté, un esprit chevaleresque…
J’aime à dire qu’avec mes photographies, j’aime choquer par la Beauté !
Si vous deviez tout recommencer ?
Anne Garde : J’aime ma vie, je me verrais bien refaire certains parcours auxquels j’ajouterai quelques rencontres précieuses qui restent à faire, encore, tant qu’il est temps !
Un dernier mot ?
Anne Garde : Merci pour toutes ces questions. Donc, je signe !!