Les amours supposées de François Hollande et Julie Gayet, c’est lui. Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand, c’est encore lui, tout comme les liaisons entre Patrick Poivre d’Arvor et Claire Chazal ou Gérard Depardieu et Carole Bouquet. Rencontre avec Sébastien Valiela, qui raconte son métier de paparazzi
En janvier 2013, dans un café de la place des Ternes, à Paris, Sébastien Valiela, 42 ans, nous raconte ses exploits de paparazzi devant deux croissants. Sans fanfaronnade. Au bout du deuxième café, il lâche : « Si quelqu’un arrive à photographier François Hollande et Julie Gayet ensemble, ce sera un coup énorme. Mais qui osera le publier ? »
Douze mois ont passé, et ce « coup énorme », il l’a fait. Vendredi 10 janvier, les images s’étalent dans le magazine Closer, spécialisé dans le paparazzi pugnace. Elles montrent deux hommes blottis sur un scooter – dont le président –, visages casqués comme les Daft Punk. Puis une femme blonde entrant dans un immeuble.
On rappelle à Sébastien Valiela sa prophétie. Il s’en amuse : « Oui, je savais déjà… Ça faisait un petit moment que les paparazzis en parlaient. Encore fallait-il trouver le lieu de rendez-vous. On a pisté un agent de sécurité attaché à Julie Gayet, et on a trouvé. » Certains affirment que Nicolas Sarkozy aurait mis la presse people sur la piste du nid d’amour. « N’importe quoi », balaie le photographe.
Cette série d’images, Sébastien Valiela la réalise en « planquant » dès le 26 décembre 2013 devant l’immeuble élégant de la rue du Cirque, tout près de l’Elysée, où le couple se retrouve au 4e étage, volets clos. Ils sont deux photographes, lui et son complice Lorenzo Viers, pour des images réalisées juste avant et après le Nouvel An. L’un est caché dans la rue, l’autre derrière une fenêtre de la cage d’escalier de l’immeuble d’en face. « Etre à deux autorise plusieurs angles de prises de vue et augmente les chances de réussite. »
C’EST UN LOUP SOLITAIRE
Lorsque nous avions rencontré Sébastien Valiela la première fois, c’était pour préparer un texte du catalogue de l’exposition « Paparazzi ! », à voir au Centre Pompidou-Metz à partir du 26 février. Il figure en bonne place dans l’exposition. Et il est aussi considéré comme un très bon. « C’est le meilleur, précise Frédéric Hervé, de l’agence photo Bestimage. Sébastien est le dernier pur paparazzi, un des rares à ne faire que ça. C’est un loup solitaire, mais son carnet d’adresses est ahurissant. Il est connecté, maîtrise les réseaux sociaux et creuse ses sujets à l’écart de la meute des paparazzis. »
Sa réputation, il l’a gagnée avec une image prise il y a vingt ans, et qui résonne de façon troublante avec celle du couple Hollande-Gayet. Même retentissement, même façon de dévoiler un pan de la vie privée du chef de l’Etat. En 1994, il révèle dans les pages de Paris Match l’existence de Mazarine Pingeot, la fille « cachée » du président François Mitterrand. Sur la photo en couleurs, le père, 77 ans, pose la main sur l’épaule de sa fille, 19 ans, à la sortie du restaurant étoilé Le Divellec, à Paris. Sébastien Valiela opère déjà en tandem, avec Pierre Suu. Ils ont à peine plus de vingt ans et sont membres de l’agence Sphinx de Bruno Mouron et Pascal Rostain, deux figures du paparazzi. « On avait le même âge que Mazarine, on connaissait un de ses copains de classe », raconte Valiela.
La prise de vue fut assez sportive. A plus de 100 mètres du restaurant, tournant le dos à Mazarine, sans se faire remarquer par la quinzaine de gardes du corps qui papillonnent autour, Sébastien fait écran, tandis que Pierre, allongé sur le trottoir, pointe l’énorme objectif de 500 mm entre les jambes de son camarade puis déclenche au jugé. Valiela commente : « La photo de Hollande était bien plus facile à faire, tant il était mal protégé. »
Ses images ont bousculé deux présidents de la République socialistes. Il en rigole. S’ils étaient de droite, le tarif serait identique, tant sa détermination vient de loin. Sébastien Valiela est paparazzi depuis toujours. A 8 ans, il est fasciné par « les images interdites, granuleuses, mystérieuses » qu’il découvre dans le Paris Match de ses parents. Signe du destin, il est né à La Baule, station balnéaire élégante et fréquentée par des people durant la saison estivale, qu’il « capte » sur la plage dès ses 16 ans, alors qu’il est encore lycéen, pour pimenter son job de barman. Ses premières victimes ? Patrick Bruel ou la chanteuse Elsa, « avec son mec ».
Sébastien Valiela est le symbole d’une nouvelle génération de paparazzis français qui a accompagné le triomphe du magazine Voici des années 1990 à 2005. Créé par l’Allemand Axel Ganz (groupe Prisma), c’est le premier hebdo français à se spécialiser dans le « paparazzi insolent ».
LE PUBLIC EN REDEMANDE…
Les ventes grimpent vite à 800 000 exemplaires. Plusieurs couvertures sont signées Valiela : Patrick Poivre d’Arvor et Claire Chazal, Gérard Depardieu et Carole Bouquet, Pierre Arditi et Jane Birkin, Patrick Bruel « très souvent ». Il commente : « On racontait les aventures sentimentales, les liaisons, les ruptures, les maîtresses, les actrices enceintes, les bébés. Les personnalités, journalistes, mannequins, candidats à la télé-réalité se demandaient chaque semaine ce qui allait leur tomber sur la tête. » Il leur tombe du lourd, de la douleur parfois, et les procès se multiplient. Mais comme le public en redemande…
Sébastien Valiela, devenu paparazzi indépendant, s’installe à Los Angeles de 2004 à 2008. Il y découvre l’argent facile et un métier à l’opposé du sien : toute photo dans la rue est autorisée aux Etats-Unis – au contraire de la France –, alors les stars et les photographes ne jouent pas à cache-cache. C’est l’époque où les vedettes improbables et impudiques, les Paris Hilton, Britney Spears, Lindsay Lohan, Noelle Ritchie, puis Kim Kardashian, s’exhibent sur les plages de Malibu ou au marché aux légumes, permettant à tout paparazzi de se faire « 20 000 dollars en un week-end ».
Quand il revient à Paris, en 2008, le marché du paparazzi s’effondre. La crise économique est là, Internet aussi. Un flux d’images inonde les sites, blogs et réseaux sociaux. Sébastien Valiela voit des photos qui valaient 350 euros se brader à 30, des vedettes perdre en aura ce qu’elles gagnent en complaisance, des actrices poster leur effigie sur Instagram. Il voit Daniel Auteuil « agresser un touriste qui brandit son téléphone portable, persuadé qu’il s’agit d’un paparazzi », ou vingt confrères « faire le planton devant un hôtel, attendant la sortie de David Beckham ».
Valiela décide de faire tout le contraire. De rester lui-même. Il se réfugie dans le paparazzi pur et dur, dans l’exclusif rare et cher. « Dénicher des infos, trouver une histoire, surprendre Ernst de Hanovre embrasser en Thaïlande une fille qui n’est pas son épouse, Caroline de Monaco, ce n’est pas donné à tout le monde. On est une petite dizaine sur la planète à tenir ce rang. » Pour cela, il crée en 2008 sa propre agence, Eyewitness.
Daniel Angeli, 70 ans, référence pour tous les paparazzis français, ne fut pas un tendre mais eut cette formule : « Le métier n’a rien à voir avec ces marioles d’aujourd’hui qui planquent jour et nuit. Ce n’est plus du journalisme, c’est du constat d’adultère. » Des mots d’actualité. Que Sébastien Valiela récuse.
Il reconnaît que ses images ont provoqué pas mal de procès. Il s’est déguisé « en tout ce qui est possible » pour entrer dans des mariages mondains. Il a joué au pompier dans une mairie. Une fois, Patrick Bruel l’a reconnu dans une soirée où il n’avait rien à faire – « il a rigolé ». Mais n’attendez de lui aucun remords. Et surtout pas pour ces photos de François Hollande casqué. « J’en suis fier ! » Il égrène sa défense : « Je ne suis pas dans la rumeur, ni dans la manipulation, je livre des faits vérifiés. Je ne vois pas pourquoi les personnalités ne seraient dans les journaux qu’au moment où elles veulent favoriser leur carrière. Quand on est président de la République, on a une fonction à défendre. Il y avait enfin tant de photographes sur cette info qu’elle devait sortir un jour. »
« QUAND ON TIENT UN SCOOP, ON L’AFFICHE ! »
Quand Sébastien Valiela, il y a un an, se demande si un journal « osera publier les images du couple Hollande-Gayet », il pense au précédent Mazarine. En 1994, la vie privée des responsables politiques est taboue. Même pour Voici. Et de fait, Paris Match ne publie alors qu’une petite photo en couverture – une grande à l’intérieur. Ce qui a fait enrager Michel Sola, le responsable de la photo de l’hebdomadaire : « Quand on tient un scoop, on l’affiche ! », ajoutant que cette image a permis au numéro de s’écouler à 1,4 million d’exemplaires « au lieu du million habituel ». Quant au prix de l’image, il aurait été de 500 000 francs de l’époque, selon Valiela. Jolie somme, mais sous-estimée. « Ça vaut un million de dollars », aurait lâché Daniel Filipacchi, président d’honneur de Paris Match.
Que Closer publie les images de François Hollande et de Julie Gayet n’est pas une surprise. Cet hebdomadaire du groupe italien Mondadori n’a pas hésité, à la fin de l’été 2012, à dévoiler une photo de l’épouse du prince William d’Angleterre, Kate, seins nus, dans une propriété du sud de la France. Une plainte au pénal de la Couronne britannique est en cours, pour « atteinte à la vie privée ».
Surtout, c’est Closer qui a généralisé en France le paparazzi politique. « Le tournant, c’est l’été 2006, lorsque nous publions en couverture Ségolène Royal en maillot de bain avant son investiture par le PS à l’élection présidentielle », raconte Laurence Pieau, la rédactrice en chef. L’année suivante, Closer publie une photo de François Hollande avec sa nouvelle compagne, Valérie Trierweiler, sur une plage au Maroc. Le voici désormais avec Julie Gayet, permettant à Closer de doubler ses ventes – jusqu’à 600 000 exemplaires. Pour 40 000 euros payés à Valiela, selon le site Presse News. « N’importe quoi », répond l’intéressé, qui concède que ce reportage « se vend partout dans le monde ». Rien de mieux pour entretenir sa réputation.
Par Michel Guerrin
Article publié dans Le Monde, le 15 janvier 2014