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Le Paysage du document social au politique

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Paysage-Document fonde le cycle Cosa Mentale, Paysage(s) car le renouvellement de la notion du paysage a été traversé par le courant documentaire, qui l’a dépouillé de toute vision préfabriquée qu’elle soit d’ordre pictural, littéraire ou historique. L’ensemble des photographes présentés dans cette exposition ont la volonté de s’en éloigner pour s’attacher davantage à rendre compte du réel de manière strictement objective. Leurs pratiques se sont appuyées sur des méthodologies radicales, souvent systématiques, pour dégager au fur et à mesure des codes typologiques et/ou d’analyse critique. Il s’agit moins de créer une image ou une vision que de tenter d’approcher une dimension objective du territoire. L’émergence de ce courant est issue de plusieurs influences et d’un contexte européen particulier.

Historiquement, ces démarches trouvent une double origine dans les campagnes topographiques du XIXe siècle qui ont fondé les grands « répertoires iconographiques» de nos anciennes civilisations tant en Europe que dans les territoires colonisés ; et, parallèlement, dans les grandes commandes américaines de la première moitié du XXe siècle. Si l’on veut se rapprocher des démarches contemporaines et s’éloigner de toute coloration humaniste ou historiciste, il nous faut partir de ce courant fondateur que fut la New Topography émergeant aux Etats-Unis dès les années 70. Nous l’évoquons ici par quelques travaux de Robert Adams, Lewis Baltz, Edward Ruscha, Stephen Shore.

Leurs images démontrent une volonté de répertorier des éléments constitutifs du paysage tant d’un point de vue naturel élémentaire (Adams) que par une approche typologique urbaine et moderne comme les « catalogues » de parkings de Ruscha ou ceux des façades constitués par Baltz. Leur influence fut importante aux Etats-Unis et à titre d’exemple nous montrons un de leurs meilleurs représentants actuels, Marc Ruwedel qui, un peu comme Adams, a ajouté une dimension politique en s’attaquant à des territoires « minés » (tels ceux marqués par les essais nucléaires) ou sociologiquement symptomatiques.

Parallèlement, soulignons que la méthodologie documentaire permet l’analyse des codes de fabrication du paysage et questionne corollairement la notion d’image en tant que document. Le jeu conceptuel qui se met alors en place impose une dialectique entre code visuel et réel qui n’est pas très éloignée des postures conceptuelles des années 60.
L’artiste conceptuel Joachim Koester rend, dans un étonnant et récent travail, un hommage fictif aux démarches documentaires, en soulignant les connivences entre esthétique conceptuelle et méthodologie documentaire.

Dans un autre registre, le photographe canadien Robin Collyer travaille directement ces fameux codes au sein de ses images. Ceci permet de souligner le rôle de L’Ecole de Vancouver dans l’évolution du langage photographique. Si Jeff Wall ne s’attache pas au paysage en particulier, il le nourrit de sa puissante analyse critique. D’autres canadiens ont travaillé le paysage sous des angles conceptuels tel Ian Wallace.

D’une manière générale, la photographie a subi une mutation des problématiques liées à l’image et à son potentiel de représentation, à une époque où les grands principes conceptuels ont imposé une radicalité critique et une reformulation esthétique. Certaines démarches photographiques ont pu s’y affilier. Parmi les postures « conceptuelles », outre les canadiens, nous présentons des pièces de l’anglo-saxon Hamish Fulton et l’hollandais Ger Dekkers.

Les influences américaines des photographes de la New Topography se retrouvent dans des approches du début des années 1980 en Europe et, notamment avec l’Ecole de Düsseldorf fondée par Bernd & Hilla Becher. Ces derniers ont poussé à une extrême rigueur le recensement typologique en isolant dans le paysage des « monuments » industriels. Même si certains pourraient rétorquer que leurs inventaires ne sont pas à proprement parler des photographies de paysage, cette typologie architecturale assoie pour partie l’approche visuelle de notre environnement. Conjointement, la mise en forme en polyptyques monumentaux renforce cette vision et lui octroie une puissance conceptuelle et formelle.

Ce courant allemand va donner lieu à une première vague de campagnes photographiques plutôt urbaines, fréquemment prises en noir et blanc et de manière relativement austère dans le choix même des emplacements photographiés, sorte de « paysages sans qualité » dont nous montrons deux exemples avec des images de Thomas Ruff et Thomas Struth.
Leur tendance à l’austérité, certes magnifiée par le style, ne tardera d’ailleurs pas à évoluer vers la couleur et des sujets plus attractifs tandis que d’autres visions plus sensibles apparaissent déjà avec les prises de vues d’Axel Hütte et d’Andreas Gursky (qui à l’époque travaillait en très petit format) ou celles d’Elger Esser.

Si tous ces artistes sont toujours actifs, on peut remarquer que leur langage a fortement évolué en s’orientant vers une formulation plus « plasticienne », s’éloignant d’une démarche documentaire stricte, reliant le réel à une conception visuelle que l’on pourrait qualifier de « nouveau pittoresque ». C’est pourquoi, même si certains pourront s’en étonner, Elger Esser, par exemple, est situé dans une section dissociée. En effet, nous avons désiré marquer cette évolution dans notre propos car, au fil du temps, certains travaux d’obédience documentaire se détachent des principes d’objectivité en privilégiant une vision stylistiquement interprétative.

On commence ici à percevoir la fragilité et les limites d’un potentiel classement de ces multiples démarches encore en évolution. Il y a effectivement un risque inévitable d’enfermer cette vaste production visuelle dans des catégories trop rigides et superfétatoires. Mais, poursuivons en rappelant simplement que le premier fondement de ces pratiques documentaires se trouve dans une pensée sociopolitique européenne. Nombre de ces pratiques ont été incitées par des commandes nationales, régionales ou liées à des initiatives locales, voire privées. Le point de référence de ces diverses occurrences est la Convention Européenne du Paysage dont la première formulation de 1981 a permis de faire émerger la notion « d’observatoire du paysage ». A la fois infrastructure, méthode et point d’orgue d’échanges artistiques et philosophiques, l’observatoire résume ce désir d’étudier en profondeur notre territoire, sa pérennité et ses bouleversements.

Cette préoccupation européenne va donner une ampleur considérable aux campagnes photographiques dans une stratégie, de prime abord, de constat socio-économique. Elle a induit nombre de commandes territoriales lancées à travers l’Europe. Une des plus connues, la DATAR, référentielle pour la France, a ouvert la voie à une quinzaine de photographes. Parmi les auteurs historiques, ou issus de cette mouvance, sont présents dans cette exposition Jean-Marc Bustamante, Arnaud Claass, John Davies, Gilbert Fastenaekens, Gabriele Basilico, Holger Trülzsch. Nous nous excusons d’omissions inévitables afin de rendre le propos digeste. Ces dernières se justifient aisément tant il est évident qu’à ces occasions se sont croisé et ont échangé de nombreux artistes de différents pays européens. Des invitations ont même été lancées à des américains tels que Shore ou Baltz qui sont venus travailler en France ou en Italie. Dans ce contexte, nous citerons à titre d’exemplarité les campagnes italiennes de « Línea Del Confine » qui ont permis à d’excellents photographes de se révéler tels Walter Niedermayr et Paola de Pietri.

Même si cela peut paraître évident, soulignons ici que le renouvellement de la vision paysagère, via le phénomène des commandes, passe par autant de regards particuliers et autonomes, alors que dans un même temps c’est leur compilation analytique et visuelle qui permet de s’approprier l’ensemble des différents territoires.
Ces approches sont complémentaires et couvrent plusieurs typologies de paysages, aussi bien celles des campagnes et du littoral que de « l’entre-deux » des banlieues, ou encore, celles du développement accéléré de l’urbanisation de nos villes modernes. Actuellement, une partie des démarches documentaires répondent toujours à cette méthodologie. Différents types d’infrastructures et d’initiatives en découlent, plus ou moins directement, comme par exemple, les commandes françaises par des centres photographiques régionaux et des Pôles Images qui ainsi constituent petit à petit des fonds importants.
Nous en montrons des exemples significatifs à travers des ensembles photographiques de Davies, Basilico mais aussi à travers les démarches exemplaires de Thibaut Cuisset et d’Anne-Marie Filaire, ainsi que d’autres plus récentes comme celle de Claire Chevrier.

Il est remarquable que ces commandes ne s’attachent pas nécessairement à un cahier des charges technique et restrictif mais au contraire à toujours favoriser des démarches artistiques ouvertes. Cette évaluation de l’évolution de nos territoires en fonction d’une liberté artistique interprétative a permis l’émergence de postures plus analytiques, comme celle mesurant l’impact socioéconomique de Walter Niedermayr ou celle porteuse de dénonciation politique de Sophie Risthelhueber. Cette photographe est d’ailleurs un des fers de lance de cette tendance que l’on retrouve chez un nombre croissant d’artistes qui tentent de mesurer l’impact environnemental de notre action économique et politique à travers, notamment, les traces de conflits. Cette tendance critique, très marquée dans le champ photographique actuel, est présente dans certains fonds publics ce qui nous a conforté dans notre désir d’y consacrer un volet entier que nous désignons par Paysage-Politique. Mais, en nous concentrant sur des regards critiques objectivant l’urbanisation outrancière qui en vient à redessiner de manière totalement factice notre environnement, on trouve de remarquables travaux teintés d’ironie comme ceux de Georges Dupin ou de Jürgen Nefzger qui ont toute leur place dans Paysage-Document.

Christine Ollier

Paysage-Document
Commissariat de l’exposition : Hélène Jagot et Christine Ollier
Du 2 juin au 2 septembre 2012
Robert Adams, Lewis Baltz, Gabriele Basilico, Bernd & Hilla Becher, Jean-Marc Bustamante, Claire Chevrier, Arnaud Claass, Robin Collyer, Thibaut Cuisset, John Davies, Ger Dekkers, Georges Dupin, Gilbert Fastenaekens, Anne-Marie Filaire, Hamish Fulton, Andreas Gursky, Axel Hütte, Joachim Koester, Jürgen Nefzger, Walter Niedermayr, Paola de Pietri, Sophie Risthelhueber, Thomas Ruff, Edward Ruscha , Marc Ruwedel, Stephen Shore, Thomas Struth, Holger Trülzsch, Jeff Wall, Ian Wallace.

Musée de la Roche-sur-Yon
Rue Jean-Jaurès
85000 La Roche-sur-Yon
tél./ fax.: 02.51.47.48.35. / 02.51.47.45.99
[email protected]

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