C’est souvent beaucoup plus facile de travailler avec des photographes renommés plutôt qu’avec certains jeunes prétentieux et arrogants. Exemple avec Ralph Gibson. Je n’avais pas fait de livre avec lui depuis au moins 15 ans. Gibson est le photographe qui m’a le plus influencé à travers ses livres et sa fameuse trilogie et m’a permit de comprendre comment dans la double page d’un livre, deux photos face à face peuvent créer de nouveaux rapports, faire émerger des mystères visuels, et des rencontres inattendues. Je lui envois un mail : « Caro Ralph. J’aimerai beaucoup faire un nouveau livre avec toi sur tes débuts dans la photographie, sur tes années d’apprentissage dans les années soixante avant que tu ne trouve ta propre vision. Tu fais la maquette et tu m’envois les scans ». En effet, j’adore les premières oeuvres que ce soit dans la musique dans la littérature mais surtout dans la photographie car elles contiennent souvent en surpuissance, et en folie, cette fraîcheur, cette spontanéité qui se perd peu à peu. Ralph me répond illico-presto : « Ok. Je veux une avance de 2500 dollars, 200 livres envoyés à New York ». C’est le deal avec lui, l’efficacité américaine, pas de scrupule à parler fric mais l’assurance d’un vrai professionnel qui ne me décevra pas. Quelques jours après le titre arrive : « Passé Imparfait » et je pense que cela est parfait, un homme se penche sur son passé. Et les images arrivent, celles de Los Angeles, de San Francisco, photographies de rues dans la lignée de Robert Frank ou de Cartier-Bresson, au Rolleiflex puis au Leica, sur Sunset boulevard, les voitures décapotables, les filles, les Beatles, les hippies. Gibson voulait devenir professionnel mais ses photos étaient trop personnelles. Il va vivre à New York. En 1969 sa signature visuelle se confirme, un changement s’opère. Au Chelsea Hôtel, il passe ses nuits à lire Borges et à écouter Villa-Lobos, son subconscient émerge, des images oniriques arrivent et il commence à rêver à son premier livre The Somnambulist, à le mettre en pages. Voila en définitive ce que raconte le texte et les photographies de ce livre imprimé à Pampelune à partir de la photogravure choyée par Isabelle Nori : comment les formes d’une image migrent-telles d’une photo à une autre ? Mystère dont ce livre lève en partie le voile en nous régalant de photographies modernes et sensuelles avec ce noir et blanc éclatant qui va toujours à l’essentiel. Thank Ralph, you are great !
Passé Imparfait – Ralph Gibson
Préface de Gilles Mora
Éditions bilingue
Éditions Contrejour
112 pages, 28 euros
ISBN : 1090294050