On les croyait perdus à jamais. Au terme d’un périple rocambolesque, 4 500 négatifs du photoreporter légendaire, mais aussi de sa compagne Gerda Taro et de son ami Chim, ont refait surface à New York, en 2008. Des clichés inédits et saisissants de la guerre d’Espagne, pris de 1936 à 1939, exposés au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris. Par Michel Lefebvre Tout dans l’histoire de la « valise mexicaine » est singulier, voire rocambolesque. Début 2008, 4 500 négatifs, soit 126 rouleaux de pellicules, réapparaissent à New York, à l’International Center of Photography (ICP), fondé par Cornell Capa, le frère du photographe. Ces négatifs viennent du Mexique. Leur trajet depuis Paris reste mystérieux. Fin 1939, Robert Capa quitte la capitale pour New York, fuyant les menaces de guerre, et laisse les films dans son studio du 37, rue Froidevaux. Le trésor est confié à Csiki Weisz, l’ami et le tireur de Robert Capa, qui lui-même fuit la capitale pour Bordeaux ou Marseille, entre fin 1939 et juin 1940, avant d’être arrêté et emprisonné par les autorités françaises comme « étranger indésirable ». Entretemps, il a confié les précieux négatifs à un ami espagnol, qui lui-même les a donnés à un Chilien, ou à un Mexicain, quelque part en France, avant qu’ils ne se retrouvent entre les mains d’un général mexicain, consul de son pays à Vichy. Quand le général retourne au Mexique, il emporte les photos, mais aussi de l’argent et des bijoux qu’il aurait volés, selon certaines sources. D’où la probable disparition,au fond d’un grenier ou d’une armoire, des boîtes qui contiennent le travail de Robert Capa, mais aussi de Gerda Taro, sa compagne, et de David Seymour, dit Chim, son ami. Après la mort du général, un neveu de sa femme, Benjamin Tarver, trouve le trésor et contacte le frère de Robert Capa, qui laisse traîner… Ce n’est que dix ans plus tard, en 2008, donc, que les négatifs rejoignent enfin les archives de l’ICP. Inaugurée la semaine dernière, l’exposition du Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris offre une mise en scène pédagogique de ces clichés, qui devrait ravir les amoureux de la photographie. C’est une plongée un peu voyeuriste dans l’intimité de trois photographes au coeur de la guerre d’Espagne, de 1936 à 1939 – Gerda Taro, elle, y a perdu la vie en juillet 1937, écrasée par un tank républicain. Il n’est pas courant d’avoir accès aux planches contacts d’un photographe, de voir ses flous, ses erreurs d’exposition ou de cadrage. Qu’importe : il est fascinant de suivre ces trois photographes immergés dans l’action. La série de photos que nous publions a été prise à Teruel, au nord de Valence. Robert Capa, parti de Barcelone en voiture, y arrive fin décembre 1937, à un tournant de la guerre d’Espagne. Il vient assister à la prise du dernier îlot de résistance franquiste de la ville, le palais du gouverneur civil. Il racontera la scène ainsi dans un article du quotidien français Ce Soir du 8 janvier 1938 : « Au milieu d’un fracas épouvantable, un des murs s’ouvrit. Une mine avait été placée sous un angle et la déflagration causa une brèche énorme dans la muraille où les soldats se précipitèrent au milieu des décombres. » On devine la suite des événements en regardant les photos. « Ce fut alors la lutte de chambre en chambre. Une lutte sans merci, à la grenade. Tous les murs semblaient avoir été minés : des explosions retentissaient de partout. » Robert Capa pénètre dans le bâtiment à la suite des soldats, il est suivi de l’écrivain Ernest Hemingway et du journaliste du New York Times Herbert Matthews. Ils progressent prudemment dans l’escalier, puis dans les décombres jusqu’en haut du bâtiment où, à travers une brèche, la ville se dévoile. La guerre d’Espagne fut le laboratoire du photojournalisme moderne et Robert Capa reste la référence absolue pour les photographes de guerre. Il a presque tout inventé : l’image qui témoigne des souffrances d’un peuple dans la tourmente ; le fait de raconter une histoire uniquement avec des photos et des légendes ; la prise de vue au plus près de l’action ; le regroupement des photographes en coopérative pour défendre leur travail et son utilisation par les journaux. Déjà, durant la guerre d’Espagne, il soulignait cette nécessité dans son atelier de la rue Froidevaux, où il travaillait avec Chim et Gerda Taro. Après la guerre, en 1947, il fonde l’agence Magnum avec – toujours – l’ami Chim, Henri Cartier-Bresson, George Rodger et William Vandivert. Les images saisies à Teruel par Robert Capa font immanquablement penser à celles de la bataille d’Alep en Syrie, prises par Laurent Van Der Stockt pour Le Monde : mêmes combats entre snipers retranchés dans des immeubles éventrés, qui tirent par les trous des murs. Mêmes miliciens qui courent et tombent sous la mitraille. Même effroi de la population qui vit sous la menace permanente de l’aviation et des représailles sanglantes de l’ennemi. Même colère devant un peuple massacré dans l’indifférence de la communauté internationale, qui préfère regarder ailleurs car elle craint les conséquences d’une victoire de la révolution. Pour tenter de définir l’oeuvre de son frère, Cornell Capa emploie le terme de « concerned photography », qui peut être traduit par « photographie engagée ». Cette idée est toujours d’actualité. Publié par le Magazine Le Monde, 9 mars 2013 La valise mexicaine Capa, Taro, Chim, les négatifs retrouvés de la guerre civile espagnole Jusqu’au 30 juin 2013 Musée d’art et d’histoire du judaïsme 71, rue du Temple 75003 Paris France Tél. : 01-53-01-86-60 Le catalogue : La valise mexicaine, Capa, Chim, Taro, un monument de deux tomes avec tous les négatifs en 700 pages édité par Actes Sud, 85,20€. Robert Capa, traces d’une légende de Bernard Lebrun et Michel Lefebvre, 264 pages, 40,50€, éditions La Martinière.
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