A Marseille, une exposition célèbre l’art d’aimer à travers une panoplie d’oeuvres dont celles de nombreux photographes. Helena Almeida, Nan Goldin, Antoine d’Agata…autant d’artistes qui ont fait de la passion amoureuse un terrain de jeu.
La jeune femme est blessée. Elle a du sang sur le genou et regarde d’un air effaré devant elle. En même temps, elle semble enlever sa culotte. Son visage est fragmenté par la lumière : un côté dans l’obscurité, l’autre en pleine clarté.
Ce portrait réalisé par Todd Hido en 2011 illustre bien le thème de cette exposition au Musée d’art contemporain de Marseille (Mac) : quel amour ? Le point d’interrogation est important car il questionne la dimension plurielle de l’amour qui engendre son lot de conséquences : passion destructive, rupture sentimentale, bonheur de vivre, trouble de l’identité, maternité, vie de couple, mariage…
Assez vite dans l’exposition est présentée une formidable série réalisée par la photographe portugaise Helena Almeida. L’artiste interroge la longévité du désir à travers des autoportraits sensibles où elle met en scène son corps et qui dit à lui seul les affres du temps qui passe. L’une des photographies – qui sert d’ailleurs d’affiche à l’exposition – présente deux jambes de personnes âgées, l’une féminine, l’autre masculine, liée par une corde l’une à l’autre. Haute métaphore de la vie de couple qui atteint peut-être son acmé par cette marche : ensemble jusqu’au bout et en même temps, prisonniers l’un de l’autre, dans la pure contradiction dans laquelle nous jette la vie sentimentale. Aimer c’est sans doute cette corde qui enroule les jambes de deux êtres et les oblige à marcher ensemble d’un même pas, au même rythme, pour ne pas tomber.
Mariage
A moins qu’aimer passe d’abord par l’amour propre et sa propre conception de soi-même. En effet, comment aimer sans s’aimer soi-même en premier ? C’est le sens de la vidéo intitulée Le Miroir de Chantal Akerman où une jeune femme regarde sa silhouette, considère longuement la teneur de ses formes.
Chantal Akerman nous parle du corps comme objet de désir, mais aussi comme objet social, objet de représentation dans la société avec son lot de stéréotypes, qu’ils soient sexistes ou homophobes.
Corps privé qui devient, par la représentation, corps social et qui trouve son apogée dans l’événement du mariage. En ironie malicieuse, Sophie Calle nous invente son mariage en 1992. Cette année-là, l’artiste a organisé une fausse célébration immortalisée par une photographie qui est présentée dans l’exposition. On y voit Sophie Calle poser fièrement en robe blanche entourée d’une bande d’amis et d’un faux époux recruté pour l’occasion. La supercherie vise à titiller tout un chacun sur l’importance que revêt le mariage encore aujourd’hui quand bien même les divorces n’ont jamais été aussi élevés.
Turbulent
Car l’amour a son revers : la rupture sentimentale. Celle-ci est brillamment mise en scène par l’artiste marseillais Marc Quer et sa série « Monsieur Drame » réalisée en 2010. L’homme a recueilli les mails de rupture que lui ont adressé une dizaine de femmes. « Surtout fiche moi la Paix » clame l’une d’elle quand l’autre lui dit : « Marc, je dois te dire que je ne t’aime plus. Je ne veux pas te revoir ». A ces missives, l’artiste a ajouté à chaque fois la photographie d’une devanture d’hôtel misérable. Les façades délabrées, où par exemple l’écriteau « idéal » s’effondre sur l’une d’elles, résonnent particulièrement bien avec les mots acides que ces femmes jettent dans leurs messages.
Car parfois le dialogue est rompu comme le suggère une vidéo de l’artiste Shirin Neshat. Son oeuvre Turbulent (1998) propose un film divisé sur deux écrans. Sur l’un d’eux une femme chante devant une salle vide tandis que sur l’autre un homme reste muet devant un micro alors qu’une assemblée d’hommes se tient derrière lui. Puissante image de la difficulté à communiquer dans le domaine de l’amour et des sentiments contradictoires qu’il fait jaillir où parfois la chanson se fait seul en soi-même quand l’heure de parler devant les autres nous laisse sans voix.
Chambre obscure
Il faut dire que l’amour trouve son écrin dans les lianes intimes de chacun. La jungle que nous avons en nous de désirs, de fantasmes, de représentations de l’autre est puissamment montrée par le photographe Antoine d’Agata qui documente sa vie sexuelle par des prises de vue où les corps s’enchevêtrent, se confondent, à l’instar des toiles de Francis Bacon – dont l’une d’elle est d’ailleurs présentée dans l’exposition. Chez d’Agata, le sexe est une heure où se mêlent jouissance et souffrance, passion et destruction, vertige et nausée. Au fond d’un coin du musée, le photographe a déposé pas moins de 260 autoportraits qui sont autant de vues de cet univers où règne la baise et la drogue dans une sincérité déconcertante. L’appareil photo se fait alors le chantre d’une chambre obscure où se déploient les corps nus, réduits à l’acte sexuel et en même temps vaporeux, comme des fantômes, non sans une certaine poésie de l’instant et qui renvoie à la fragilité de chacun.
Ces fleurs abimées que montre d’Agata sont aussi merveilleusement cultivées par la photographe américaine Nan Goldin. Véritable chef d’œuvre de l’exposition, sa série intitulée All by myself et réalisée en 1995 dépeint l’univers d’une adolescente qui découvre les joies de l’amour et de la sexualité. A la fois sombres, à la fois enchantées, ses photographies sont présentées sous la forme d’un diaporama dans lequel une image se confond à la suivante dans un jeu de superposition. Ainsi les visages se mélangent, les décors aussi et tout cela donne le sentiment d’un voyage dans les tourments adolescents liés à la découverte de l’amour. C’est le monde d’une confusion extrême, d’un trouble où l’identité n’est pas encore clairement définie, où demeure au carrefour d’innombrables chemins et qui constitue un bel hommage au mot « amour » qui appelle à cet égarement, à ce vagabondage, en éternelle question adressée à chacun.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Quel Amour ?!
Du 13 Mai 2018 au 2 septembre 2018
Musée d’art contemporain de Marseille
69 Avenue d’Haifa
13008 Marseille
France
http://culture.marseille.fr/les-musees-de-marseille/musee-d-art-contemporain-mac