Aucun Jinete ne voyage seul, son ombre errante sous le crépuscule andalou, accompagne en mouvement son galop de tambour sur le monte.
J’ai choisi Mindaugas Gabrenas pour introduire en photographie l’idée d’une Espagne, terre légendaire. Mindaugas Gabrenas (1977, Lithuanie) rencontre vraiment son écriture avec le médium en 2008. Il vit alors en Espagne, il est maintenant à New York. Je le découvre en avril 2013 grâce aux week ends portfolio du journal de la photographie, une sélection d’Elodie Maillet.
Pour accentuer la petite histoire, je vais citer Emmanuel Guigon, auteur de l’essai : « Adlan (1932-1936) et le surréalisme en Catalogne. » In: Mélanges de la Casa de Velázquez. Tome 26-3, 1990. pp. 53-80 :
« La valorisation du «mauvais goût» participe du même esprit que la réhabilitation du Modern’Style par Salvador Dali, dans le célèbre article «De la Beauté terrifiante et comestible de l’architecture Modern’Style», qu’il venait d’écrire pour la prestigieuse revue Minotaure (n° 3-4, janvier 1934). Le texte de Dali est illustré par des architectures de son compatriote Gaudi, photographiées à Barcelone par Man Ray, placées à côté de «sculptures involontaires» qui ont en commun leur effet d’humour et de dérision, appuyé par les légendes : «Billet d’autobus roulé systématiquement, forme très rare d’automatisme morphologique avec germes évidents de stéréotypie», «Le pain ornemental et modern’style échappe à la stéréotypie molle», «Morceau de savon présentant des formes automatiques modern ‘style trouvé dans un lavabo», «Enroulement élémentaire obtenu chez un débile mental». Il est d’ailleurs très peu question de peinture dans ce double numéro de Minotaure, mais de graffitis, cet «art bâtard des rues mal famées», recueillis par Brassai au hasard de promenades dans Paris, de chapeaux aux plis suggestifs (Tristan Tzara: «D’un certain automatisme du goût»), du monde merveilleux des automates (Benjamin Péret: «Au paradis des fantômes»), des «plus belles cartes postales» du début du siècle, collectionnées et évoquées par Paul Eluard. »
Une note sur le nom de Man Ray renvoit au texte ci-dessous :
«Man Ray, el fotograf surrealista, es a Barcelona. Ha vingut a fotografiar, abans no desapareguin, les cases de època modernista. Ha passât abans pel Cap de Creus, on ha près notes de l’estil geologic caracteristic de la Costa de Cadaqués. Aquestes fotos illustren un article que sortira a la important revista Minotaure, de Paris» («El Correu d’avui», La Publicitat, 23-IX-1933). »
Ensuite, bien sûr vous pensez tous à eux, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger and David « Chim » Seymour, les fondateurs de Magnum.
Rafael Levenfeld que vous connaîtrez mercredi au travers d’une remarquable thèse sur la photographie dans le panorama editorial de l’Espagne depuis ses débuts rappelle l’écho des photographies d’Eugene Smith à Deleitosa del Campo en Extrémadure, publiées par Life en Avril 1951, celles également de Ivan Massar et Leonard Schugar pour la revue Look à la même époque…
L’Espagne est une terre légendaire, ses grands noms ont fait légende dans l’histoire des civilisations, Trajan et Hadrien rencontrent le soleil à Italica, à côté de Seville.
En link, une photographie qui illustre pour moi l’Italica de Trajan et Hadrien dans le prisme du temps : une rue pavée photographiée en décembre 2006, en ligne de fuite une silhouette humaine, le cadre oblique est relayé en équilibre par la droite sinueuse de l’allée romaine, à gauche pour nous, un immeuble des années 80 indique la période de l’image. Elle reste toutefois secondaire en taille grâce au cadre oblique déterminé par le photographe, donnant ainsi tout le protagonisme au patrimoine objet de sa photographie et en développement narratif, sa silhouette filante.
Je viens de la lecture et de l’interprétation des images pour les éditer en photographie.
Je viens aussi d’une université en formation académique sur la philologie espagnole : Paris X Nanterre. Boursière de l’état français et espagnol pour une université d’été à Madrid en 1983. Là-bas j’ai aussi développé une spécialisation sur l’Argentine pour ma maîtrise et mon DEA non soutenus, sur la base des ouvrages de Alain Rouquié « Pouvoir militaire et société politique en Argentine », deux volumes dont vous pouvez lire une présentation sur la base de donnée Persée encore, ma fidèle amie en thèmes de recherches (links ci-dessous).
Trois jours sur un format quotidien c’est limité en possibilités et deux mois insuffisants pour une exploration complète de la photographie espagnole indépendamment du programme d’un grand festival. Il ne me reste donc qu’à assurer des regrets à ceux que je ne vais pas citer et à adresser de chaleureux remerciements à tous ceux qui ont participé à ces cinq jours d’une semaine espagnole, un mouton noir à cinq pattes. Mes interlocuteurs avant tout, l’Institut Français de Barcelone, la Fundacio Lluis Carulla et Anna Garcia Solana qui a soutenu mes efforts sur les 5 dernières semaines et qui, au travers du site web de sa galerie Escalera de Incendios, permettra la diffusion des entretiens enregistrés avec Gervasio Sanchez et Juan Manuel Castro Prieto, à partir de demain.
Pour conclure je vais rendre hommage à la profession photographe et journaliste : si la photographie espagnole mérite notre attention à tous, sachez bien qu’elle –et par photographie comprenez la profession collective de la photographie- attire aussi notre attention sur des réalités alarmantes de l’Espagne. Plus de 9 millions de personnes en dessous du seuil de la pauvreté, plus de 5 millions de chômeurs dont 50% de jeunes, les chiffres de « desahucios », expulsion à la rue doivent tourner autour de 500’000 depuis 2008, des immeubles entiers sont en vente aux couleurs locales des banques, toute l’Europe du Sud est en vente aux couleurs locales de la BCE, ça me rappelle un joli reportage sur Porto par un italien résident espagnol : Alessandro Vincenzi.
C’est dans cette atmosphère que j’ai visité la Casa Fantasmal d’Alham Shibli au Macba de Barcelone au printemps. J’étais frappée par le sens, l’interprétation, la contemplation de « state violence » , « violence d’état » en orbite dans cette réalité quotidienne. Vous verrez dans les portraits et interviews réunis sur ces trois journées, le Front Ibérico-Populaire est extrêmement réfléchi, j’ai récolté un grand nombre de pensées de tous les représentants de la culture en Espagne, ils sont tous préparés à la résistance sociale et privée par le devoir de mémoire. En photographie certes mais aussi et surtout par l’éducation et la lutte pour la protection, la conservation d’acquis sociaux aussi fondamentaux que l’éducation, la santé, la culture pour tous. Et à ce titre, si je compare la culture et la santé je pose un problème. La culture repose sur l’artiste, l’individu, l’entrepreneur, l’art est individuel… La santé, l’éducation ? La protection de l’état sur ces deux aspects sociaux est plus que fondamentale et les espagnols souffrent aujourd’hui des restrictions qui provoquent la mémoire des luttes et des résistances menées pour la construction de ces acquis, pour une répartition meilleure et une égalité plus ample dans les opportunités de chacun.
Pour conclure, une éloquence de l’actualité encore : Cristina Fallaras, auteur de romans noirs, Prix Hammet 2012, première femme à recevoir cette récompense, journaliste à Cadena Ser, El Periodico, El Mundo et ADN jusqu’en 2008. On l’a congédiée de son poste elle était enceinte… Les allocations chômage en Espagne ne rivalisent en rien celles de la France, l’enchaînement commence, se prolonge jusqu’à l’automne 2012 où l’établissement prêteur de son appartement en hypothèque commence une procédure d’expulsion et de saisie de son toit qui abrite son mari et ses deux enfants en plus d’elle. Aujourd’hui si vous tapez son nom dans google actualités, vous verrez son œuvre récompensée du Prix Hammet en sortie nouveautés aux Editions Métailié à Paris : « Deux petites filles » (Niñas Perdidas) avec toute la promo presse qui va avec en France en ce moment. Vous vous dîtes punaise, la Fallaras, t’as vu la promo qu’elle a en France avec son dernier roman ?
Vous verrez aussi son dernier récit « A la puta calle » présentée par la PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca) dans le cadre de la Fira del Llibre aux jardins de La Misericordia de Palma de Majorque…
« Niñas Perdidas », « Deux petites filles » en France, nous avons le pouvoir de changer une routine aveuglante et affecter la dépense de 20 chromos à nos enfants pour acheter son dernier roman récompensé. Nous avons tous une dépense superflue dans notre quotidien dont l’économie pourrait aussi soutenir son dernier récit que je rappelle : « A la puta calle » de Cristina Fallaras.
Venant de sentiers républicains par le Vall d’Aran, j’ai des doutes sur la réalité de ma vision quand je vois le roi d’Espagne marcher avec sa tête encore sur les épaules. Serait-ce une boutade de Dali, une esquisse perdue du Minotaure ou encore le seul repentir inédit de Joan Fontcuberta ?
Je ne suis pas sûre que la conservation d’une famille, d’une condition et d’une dépense royale soit de première nécessité dans un pays où les acquis sociaux vivent une austérité ramenant de 25 à 30% la participation de l’état dans la dépense publique.
L’Espagne réfléchit, murmure, rencontre son refrain pour chacun de ses jours.
Je dédie le courage qui m’a conduit à réunir tous ces morceaux à Natu Poblet, mon amie qui fait courir le murmure « Leer es un placer ».
Lola Fabry
www.gabrenas.com
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/casa_0076-230X_1990_num_26_3_885
www.andrebreton.fr/fr/item/?GCOI=56600100761100&fa=author&person_id=20
manuelcohen.photoshelter.com/image/I0000dtMW6ZdFyss
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1979_num_29_4_418652_t1_0901_0000_000
www.institutfrancais.es/barcelona
www.fundaciolluiscarulla.com
escaleradeincendios.com
www.alessandrovincenzi.it
www.editions-metailie.com
mallorcaconfidencial.com/20130601_113465-la-periodista-cristina-fallaras-presenta-a-la-puta-calle.html
http://www.sigueleyendo.es/no-queriamos-sangre
http://www.leeresunplacer.com.ar