Pour ce numéro de Camera, qui est sorti avec un peu de retard, j’ai voulu un thème photographique apprécié et connu de tous. L’identité de Camera, celle de l’ancien comme du nouveau, a toujours été profondément attachée à dénicher les prochains virtuoses tout en sachant reconnaitre ceux qui travaillent encore à leur renommée. C’était la vision d’Allan Porter, qui qualifiait son magazine de « musée sans murs ». On a aujourd’hui presque tout dit, tout trouvé, tout montré sur la photographie de rue. Cartier-Bresson, Klein, Erwitt, Doisneau, Winogrand, Meyerowitz, Leiter, Frank. Mais quand est-il des autres, des talentueux moins célèbres, des innombrables amateurs à la gloire d’une seule image ou de ceux qui en 2015 l’évaluent à coup de « likes » sur les réseaux sociaux ? De façon étrange, parce que ce genre a été exploité de fond en comble, on a parfois tendance à le dénigrer, considérer que c’est un classique appartenant à une époque révolue. En réalité, la photographie de rue n’a jamais été un genre, elle fait partie intégrante du travail de chaque photographe, amateur comme professionnel, si l’on peut encore faire une différence. La rue, c’est aussi l’architecture, la nature morte, le photojournalisme, le portrait, et par dessus tout l’expression de notre indispensable enregistrement du monde et de ses époques.
Pour Jill Freedman, à qui Camera consacre une quarantaine de pages, la rue, c’est d’abord la vie. Comme pour nombreux d’entre nous, sa pratique de la photographie a toujours été liée aux aventures de sa propre existence. Si elle est une photographe méconnue en France, et peu reconnue dans son pays, les Etats-Unis, c’est peut-être parce que son regard humaniste est avant tout simple et naturel, d’ailleurs proche d’une sensibilité à l’européenne. Une naïveté un brin sexy, un caractère trempé et une douceur du regard qui contraste avec le milieu individualiste et apolitique de la photographie actuelle. Ainsi, outre faire découvrir une œuvre presque tombée aux oubliettes, rendre hommage à Jill Freedman, c’est aussi célébrer tous ces artistes cachés qui font circuler et consomment à toute vitesse le même genre d’images – brutes, drôles, sans prétention, vierges de réputation. Il est clair que, bientôt, l’époque sera moins à la sélection. A quoi servirons nous alors, nous éditeurs, commissaires, critiques, si ce n’est à appliquer à la photographie, cet art du peuple, les principes de la démocratie?
Jonas Cuénin
Autres rubriques
Hommage : Par Sue Davis, amie de Jill Freedman et fondatrice de la première galerie de photographie à Londres. Elle nous dévoile la part la plus généreuse de la photographe à travers des anecdotes qui nous mènent de New York à Cancun en passant par Miami et Dublin. Portfolio d’un photographe émergent : Cathy Remy choisit Random – Romananzo de Miguel Angel Tornero. Représentant de la jeune photographie espagnole, il bouscule les conventions et nous pousse à reconsidérer la photographie de rue avec ses séries Random.
Nouveaux territoires : Photobook Museum de Cologne réinvente le musée et la façon de présenter le livre photo. Bill Kouwenhoven nous dévoile les projets itinérants et numériques de ce nouvel acteur de l’édition photographique.
Marché : Première galerie photographique à Paris, la PhotoGalerie, créée en 1972 par Geoges Bardawil, fut le haut lieu de la photographie des années 70. Dans un entretien avec Charlotte Flossaut, il revient sur les conditions de la naissance du marché photographique.
Collection privée : Quentin Bajac choisit de commenter une œuvre de Willy Ruge issue de la collection de Tomas Walther. Prix et résidence : Focus sur les LensCulture Exposure Awards et l’un des sites dédié à la photographie les plus visités : LensCulture.
CAMERA, LA PHOTOGRAPHIE EN REVUE
Créée en 1922, disparue en 1982, la revue Camera est demeurée l’une des références absolues de la photographie du xxe siècle. Trente ans après sa disparition, elle a reparu en janvier 2013, fidèle à sa vocation première : publier les œuvres des plus grands photographes contemporains et donner à un large public, amateurs, photophiles et collectionneurs, les repères pour en apprécier la portée.
Revue à lire autant qu’à (re)garder, cette nouvelle édition conserve l’exigence de la ligne éditoriale initiale et se concentre sur une rencontre approfondie avec un(e) invité(e) Camera se veut aussi une pas- serelle entre les maîtres de la photographie et les jeunes talents. Chaque invité(e) propose le portfolio d’un(e) photographe émergent(e) de son choix : 12 pages de la revue sont consacrées à ce dernier, ainsi qu’une exposition itinérante d’un an, sur des sites choisis par les partenaires de Camera.
Pour s’ouvrir aux grandes tendances de la photographie contemporaine, Camera propose également la découverte d’un lieu, d’un projet ou d’une initiative pressenti(e) comme innovant(e) ou original(e) ; une analyse d’actualités du marché de l’art photographique et une interview d’un grand collection- neur ; une présentation de prix et de résidences, de leurs lauréats, suivie d’un calendrier ; une sélection commentée de livres photos français et étrangers.
MAGAZINE
Camera
revue trimestrielle
bilingue (français/anglais)
4 numéros par an
84 pages
22,5 x 28,5 cm
9 euros