En avril dernier, nous avons publié Fragment d’elles de Barbara Sabaté Montoriol. Aujourd’hui, la photographe nous parle de Les 36 vues de la petite mer qu’elle exposera sur l’île-aux-moines du 21 au 31 juillet prochain.
ÎL(E)LLES / Les 36 vues de la petite mer
36 vues, petit clin d’oeil aux Trente-six vues du mont Fuji du peintre, dessinateur et graveur japonais Katsushika Hokusai, qui fit advenir le paysage comme sujet à part entière dans la peinture au début du XIXe siècle et influença les peintres occidentaux.
Petite mer, sens du mot breton Mor bihan, le golfe du Morbihan, cette mer intérieure parsemée d’îles et d’îlots.
Les nuages blancs, pourpres, noirs, me ravissent.
Les nuages chargés de pluie, que le vent chasse.
J’aime voir aussi, à la pointe du jour, les nuages sombres,
qui peu à peu blanchissent. Dans une poésie chinoise, on a
parlé, je crois, de la teinte qui disparaissait à l’aurore.
C’est bien joli encore lorsqu’un nuage mince couvre la face brillante
de la lune !
Sei Shônagon, poétesse japonaise du début du XIe siècle, Notes de chevet – Connaissances de l’Orient, Gallimard /Unesco.
Je présente ici un travail né de déambulations rêveuses sur les chemins de l’Île-aux-Moines et le long des cimaises des musées. J’ai photographié les paysages de l’île à toutes les saisons ainsi que des détails de ciels de la peinture des XVIIIe et XIXe siècle aux musées du Louvre et d’Orsay à Paris, au MUMA au Havre et au musée Fabre à Montpellier.
Confronter les nuages de la peinture avec mes photographies de l’île, mélanger ces images pour approfondir l’expérience du paysage, inventer des mondes possibles, des paysages imaginaires parce qu’ici plus qu’ailleurs, au gré des marées et de l’heure du jour, la réalité est changeante.
Ce qui m’intéresse est le point de vacillement d’une technique à l’autre. Dans l’esprit du courant pictorialiste (1), j’ai cherché à dissoudre la frontière entre peinture et photographie.
Surimpression, recherche du flou, expositions multiples, j’explore ici mon lien avec ces paysages : une incitation à la contemplation silencieuse, une forme de mélancolie douce.
Trois visages de la peinture des XVIe et XIXe siècles viennent se fondre dans des vues de l’île, en écho à ma précédente série fragments d’elles, et pour rejoindre la peinture de mon amie Aurélia Naccache avec laquelle j’ai le bonheur d’exposer dans cette belle chapelle du Guerric.
(1) Entre 1890 et 1914, le pictorialisme occupe une place charnière dans l’histoire de la photographie : dérivé du terme anglais « picture », signifiant « image », ce mouvement s’est constitué autour de l’idée de faire entrer la photographie parmi les beaux-arts. La mise au point vers 1880 de nouveaux appareils photographiques instantanés, de petit format et au fonctionnement simplifié, mit à la portée d’un large public d’amateurs le procédé élaboré par Daguerre dès 1839. C’est un art nouveau entre photographie et peinture. Explorant les genres artistiques traditionnels tels que le portrait, le paysage ou la vue d’architecture, les photographes pictorialistes s’attachèrent à mettre en avant la vision du sujet et à transformer le réel à l’aide d’artifices divers tels que flous, effets de clair-obscur ou cadrages tronqués, et de techniques sophistiquées de tirage autorisant l’intervention manuelle.
Barbara Sabaté Montoriol