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Le Chelsea Hotel au grand angle

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En 1965, le photographe suisse Yves Debraine se rend régulièrement à New York pour des raisons professionnelles. Lors de l’un de ses voyages, il photographie dans le lieu mythique du Chelsea Hotel une série d’artistes-amis y logeant et y travaillant parmi lesquels Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, mais aussi Daniel Spoerri, Larry Rivers, Arman ou Claes Oldenburg. Les photographies sont en grande partie inédites. Luc Debraine, son fils, aujourd’hui journaliste, nous en fait découvrir l’intimité. 

Mon père Yves Debraine était reporter-photographe, né à Paris en 1925, décédé à Lausanne en 2011. Je gère aujourd’hui ses archives considérables, heureusement bien classées. En 2010, j’avais couvert pour le magazine L’Hebdo, en Suisse, la rétrospective Niki de Saint Phalle au Centre Pompidou. Je me souvenais de photographies de l’artiste prises mon père dans les années 1960 à New York. Il me les avait ressorties fissa. C’étaient de beaux tirages d’époque, en noir et blanc. J’en avais publié quelques-uns dans mon article.

En 2016, la ville de Fribourg commémorait les 25 ans de la disparition de l’un de ses plus remuants rejetons, le sculpteur Jean Tinguely. Les organisateurs de la fête cherchaient des documents, notamment photographiques, sur le démiurge et ses machines grinçantes. Je me suis alors plongé dans les archives paternelles, trouvant quantité de portraits et reportages sur Tinguely, des années 1960 à l’orée des années 1990. Des images montraient le couple Tinguely et Saint Phalle au travail dans le Chelsea Hotel de New York en mars 1965. Les photos publiées quelques années plus tôt dans l’Hebdo appartenaient à cette série.

J’ai découvert une dizaine de négatifs noir et blanc, datés de mars 1965. Ils documentaient le Chelsea Hotel, Tinguely au travail à la galerie Iolas, les visiteurs de l’exposition The Responsive Eye au MOMA. Mais aussi Manhattan en proie aux bourrasques de neige et brusques éclaircies, des flics en patrouille nocturne, la rédaction du magazine Life pour lequel Yves Debraine travaillait à l’époque, une scène de repas où l’on reconnaît, entre autres, Dmitri Kessel, ex-cavalier de l’Armée rouge devenu l’un des piliers photographiques de Life. C’est Dmitri Kessel qui a introduit Yves Debraine à la technique de la chambre grand format, indispensable à la reproduction de tableaux dans les grands musées du monde. Ces reproductions étaient destinées aux collections de livres d’art des éditions Time-Life.

En ce début de printemps 1965 à New York, mon père testait un nouvel objectif fisheye, un Nikkor 7,5 mm. Les chambres-ateliers-galeries du Chelsea Hotel étaient un lieu idéal pour mettre l’étrange focale à l’épreuve. Elle gobait l’espace confiné à 180°. Les négatifs étaient ponctués d’images circulaires, caractéristiques de l’objectif « œil de poisson ». Mais aussi de prises de vues plus conventionnelles, au 35 mm.

J’étais face à une drôle de série. Son statut flottait entre l’essai visuel, le test photographique, le document inédit sur l’effervescence créative du légendaire hôtel. Les artistes présents, principalement des Nouveaux Réalistes, jouaient avec l’objectif grand angulaire, s’affairaient, devisaient de concert. Voilà Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, Daniel Spoerri, Arman, Christo et Jeanne-Claude, Larry Rivers ou Claes Oldenburg. Sans oublier Stanley Bard, le fantasque directeur du Chelsea Hotel, entouré des œuvres données par des artistes désargentés, en guise de notes d’hôtel.

Peu à peu, en poursuivant les recherches, la série a pris un lest supplémentaire. Ce printemps 1965 est une période charnière pour beaucoup de ces artistes. Leur conquête de l’Amérique. Niki de Saint de Phalle crée ses premières « Nanas », Tinguely s’impose à la galerie Alexandre Iolas et au Jewish Museum, Christo et Jeanne-Claude s’installent à New York, Daniel Spoerri invite les visiteurs à découvrir ses « tableaux-pièges » dans sa chambre d’hôtel. L’essai, ou le test, ou le document, virait au petit morceau d’histoire. Au clin d’œil, aussi, du fisheye des années 1960 aux actuels objectifs à 360°, complices des réseaux sociaux, de la réalité virtuelle et des technologies « immersives ».

Les photographies n’ont en définitive pas été montrées lors de la commémoration Tinguely en 2016. Caroline Schuster, directrice adjointe du Musée d’art et d’histoire de Fribourg, a en revanche retenu la série pour une exposition qui ouvre le 23 février dans l’Espace Jean Tinguely-Niki de Saint Phalle de l’institution suisse. J’en suis le co-curateur avec elle. Une publication accompagne l’exposition. Elle reprend l’aspect et le format des grands magazines des années 1960, en respect du travail du photographe à l’époque. Lequel ne se prenait surtout pas pour un artiste.

Luc Debraine

Luc Debraine est journaliste culture et société. Il vit et travaille à Lausanne, en Suisse.

 

Chelsea Hotel New York 1965
Du 23 février au 2 septembre 2018
Photographies d’Yves Debraine
Espace Jean Tinguely-Niki de Saint Phalle
Musée d’art et d’histoire
Rue de Morat 2
1700 Fribourg
Suisse

www.mahf.ch

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