J’avais aperçu ce livre sur la table de son éditeur, Le Bec en l’Air, lors du dernier Paris Photo, quelques jours avant sa sortie officielle. Depuis, l’éditrice m’a fait parvenir quelques photographies extraites de l’ouvrage et un exemplaire, en format PDF, de ce livre. C’est donc à partir de ces seuls éléments que je vais évoquer, les images photographiques de Roger Schall, un des grands photographes du vingtième siècle.
Le titre de l’ouvrage qui présente cet auteur comme précurseur, me semble peu adapté au regard des œuvres laissées par le photographe et compte tenu de l’histoire de la photographie. Je pense que le terme de charnière correspond beaucoup mieux au travail et à la créativité de René, dans son environnement professionnel et personnel. Pourquoi charnière ? Sur le plan technique, le jeune reporter peut prendre en compte la révolution du matériel portable (Rollei et Leica) qui remplace les lourdes chambres encore encombrantes. Et surtout, il bénéficie, par la même occasion, de l’arrivée des films à prises de vues successives qui se substituent aux plans films d’un maniement beaucoup plus complexe, tant à la prise de vues qu’au laboratoire. C’est un premier fait de cette mutation qui engendra – par là même – un transfert intellectuel sur l’usage de la photographie. La notion d’immobilisme et de report fidèle, d’un instant déterminé, qui se devait d’être respecté, tant pour les portraits, les natures mortes et autres paysages, tout au long du dix-neuvième siècle, s’estompe. Les contraintes techniques suivent le même chemin et l’apparition des chambres semi-portables et des premiers appareils de voyage offrent les premières libertés de mouvement. Les photographies prises dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, nous confirment cette situation au début du dernier siècle. Le mouvement et l’expression, s’invitent dans la conception, la réalisation et la restitution à travers l’instant photographique. C’est la naissance des messages photographiques qui proposent des impressions et des émotions à leurs lecteurs. Roger se trouve juste présent, les appareils dans les mains, lors de cette mutation. Il saura parfaitement passer d’un monde dans les autres en prenant bien soin de conserver les « canons » de composition et de luminosité indispensables à la transmission de l’information. Mais, il apportera aussi tous ces nouveaux éléments qui suscitent une lecture différenciée et génèrent des émotions relatives à la cohérence de l’image. Roger s’engouffre dans ces angles de prises de vues improbables, de la plongée à la contre-plongée, de l’intériorité vers l’ouverture. Roger jongle sur les rendus de la lumière, depuis les masses des noirs les plus profonds aux gammes de gris harmonieusement réparties par les incertitudes. Roger interprète le rôle des contrastes qui apportent les vrais sens au discours pictural, jusqu’à modifier complètement le message pour quelques secondes d’insolation ou de développement.
Cette charnière qu’il a si bien négociée dans le milieu du siècle. Elle a fait de lui un des portes drapeau majeurs pour l’installation de cette photographie de reportage devenue incontournable à partir des années 1960, jusqu’à la fin de ce siècle. Je me dois d’ajouter que ses diverses collections englobent également des études photographiques, des images de mode, des portraits, des clins d’œil, des photo-graphismes. Il est évident que cet excellent généraliste représente parfaitement une bonne partie des photographes de ce siècle qui savaient tout faire avec une créativité qui laisse des images exceptionnelles.
Pour revenir à ce livre que je vous conseille vivement, j’aurais aimé encore un peu plus de photographies qui sont tellement essentielles et suffisantes pour estimer leur auteur. Un peu moins de textes, souvent peu utiles pour apprécier la quintessence de l’œuvre. J’ai fréquemment remarqué dans les expositions que les biographies très narratives et les photographies exposées ensemble se perturbent l’une et les autres. La mise en page de ce bel ouvrage accentue un peu cette confusion de lecture simultanée de l’image et du texte. Les très grandes parties consacrées aux seules images photographiques sont une vraie bible de la photographie de Roger Schall, après 1930, pas assez nombreuses, car on ne s’en lasse pas.
Thierry Maindrault
le livre est disponible depuis fin novembre 2024
Roger Schall, un précurseur
Le Bec en l’Air
208 pages
175 photographies noir & blanc
format 23,5 cm x 29 cm
reliure cartonnée
ISBN 978-2-36744-195-5
44,00 euros + frais de port
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