Charles Baudelaire, lettre à sa mère, Mme Aupick, le 23 décembre 1865.
« Je voudrais bien avoir ton portrait. C’est une idée qui s’est emparée de moi. Il y a un excellent photographe au Havre. Mais je crains bien que ce ne soit pas possible maintenant. Il faudrait que je fusse présent. Tu ne t’y connais pas, et tous les photographes, même excellents, ont des manies ridicules ; ils prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles, très exagérés ; plus l’image est DURE, plus ils sont contents. De plus, je voudrais que le visage eût au moins la dimension d’un ou deux pouces. Il n’y a guère qu’à Paris [1] qu’on sache faire ce que je désire, c’est-à-dire un portrait exact, mais ayant le flou d’un dessin. Enfin, nous y penserons, n’est-ce pas ? » Ce bout de lettre de Charles Baudelaire à sa maman sont les premiers mots posés dans l’excellent ouvrage d’André Jammes « Nadar » aux éditions « Photo Poche ». Les découvrir ainsi imprimés au démarrage du livre comme pour mieux souligner leur importance, je dirais presque leur gravité, m’a énormément touché.
Sans doute suis-je trop vieux…
J’accueille très régulièrement des photographes dans mon atelier d’Hyères, toutes confessions confondues (comprenez « amateurs » et « professionnels »). Je reste le plus souvent coi devant leurs convictions « technico-artistiques ». Plus c’est net (et contrasté), peut-on entendre, même « jusqu’à pouvoir compter le nombre exact de points noir sur le nez de leurs modèles féminins » (si, si), plus leur enthousiasme est grand ! Tout en s’empressant d’ajouter ensuite, quand je souligne le caractère un poil indélicat de leur démarche, que de toute façon après, ils remplacent la peau de leur modèle par ce qu’on pourrait communément appeler « une peau de plugin » ! Tout ça pour ça ? C’est à ne rien y comprendre Charles !
Frédéric Joncour
[1] et à Hyères probablement aussi 🙂 🙂 🙂