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Le BAL : L’émergence de la photographie judiciaire et de la police scientifique

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Luce Lebart est historienne de la photographie et directrice des collections de la Société française de photographie. Auteur d’articles et de livres sur la photographie documentaire, scientifique elle a notamment collaboré à l’exposition Preuve par l’image organisée en 2002 à la Fondation Claude Verdan et à l’ouvrage Le théâtre du crime publié en 2009 aux  Presse Polytechnique et universitaire romande.

Inventeur de la photographie judicaire, Alphonse Bertillon est connu pour avoir créé le signalement anthropométrique, le portrait photographique de face et de profil d’un individu, visant à faciliter l’identification des récidivistes. On connaît moins le principe de la photographie métrique qu’il met en place au début du XXe siècle.
Luce Lebart : En 1903, Bertillon, alors chef du service photographique de la préfecture de police invente un protocole scientifique de représentation des scènes de crime : la photographie métrique. Au-delà de l’identification des cadavres, la photographie métrique de scènes de crime vise à enregistrer et à restituer précisément les lieux où les crimes sont commis, autant pour les besoins de l’enquête policière que pour les juges d’instruction et les jurés. Bertillon l’a constaté, l’immédiateté de l’image est avantageuse, notamment parce qu’elle suscite l’émotion. Les photographies peuvent avoir une influence morale, soit sur l’inculpé en l’incitant à faire des aveux, soit sur les juges.

Quel est le but visé par la photographie métrique de scènes de crime ?
LL : Il s’agit de produire directement, sans autre instrument que l’objectif, des photographies portant avec elles tous les éléments nécessaires à la reconstitution, à une échelle déterminée, du plan géométrique, des élévations ou des coupes diverses des objets représentés. Les photographies métriques de scènes de crime sont prises avec un appareil dit « plongeur ». Muni d’un objectif grand angle, le « plongeur » est installé sur un pied de plus de deux mètres. Ce dispositif élaboré de représentation des scènes de crime enregistre de façon synthétique et globale les éléments matériels du drame : position du cadavre, situation des éventuelles armes, objets, traces. Son usage préfigure les pratiques de restitution en 3D des scènes de crime.

Pionnier de la police scientifique et technique, Rodolphe Reiss a été l’élève de Bertillon. En 1909 il fonde l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne. Quels sont les principes de cette nouvelle branche scientifique, plus connue sous le nom de police scientifique ?
LL : Selon Reiss, elle repose sur « l’introduction de méthodes scientifiques dans les enquêtes judiciaires». Cette intrusion de la science dans le crime est d’ordre photographique : qu’il s’agisse de recherches sur le lieu du crime, de l’étude topographique du lieu, de l’inspection des cadavres, de la recherche de traces, de celle des empreintes et des taches comme des pièces à conviction, toute investigation réclame la photographie. La preuve photographique offre alors une alternative « scientifique » aux témoignages humains comme à l’aveu. Le discours de Reiss rejoint celui qui, louant les vertus d’exactitudes et de vérité du médium, fait autorité dans le milieu de l’image utilitaire et scientifique. « Elle est devenue la mémoire artificielle de l’humanité et l’enregistreur automatique et impartial des événements », écrit Reiss dans la Revue suisse de photographie en 1903.

Sur quelles méthodes et procédés d’investigations repose alors la police scientifique ?
LL : Reiss l’énonce ainsi : toute approche d’une scène de crime doit commencer par une vue générale. Puis, progressivement l’opérateur doit se rapprocher photographiquement du cadavre. La question des détails, c’est à dire celle du plan rapproché en photographie, est fondamentale pour le criminaliste : souvent le temps consacré à l’enquête étant limité « certains détails peuvent échapper complètement, et bien souvent ces détails deviennent d’une importance capitale au cours de l’enquête ». De bonnes photographies sont pour lui « une reconstitution permanente des lieux », substituable à la scène même et toujours à la disposition du magistrat enquêteur alors que le site a été nettoyé ou a changé. Outre la réparation des oublis et des interprétations erronées, l’examen des photographies peut révéler de nouveaux détails non repérés lors de l’enquête. Des détails peuvent aussi apparaître en inversant l’image de droite à gauche comme en changeant la position de l’appareil pour les différentes poses.
 
Entre Bertillon et Reiss, s’agit-il de deux conceptions de la photographie judicaire qui s’affrontent ?
LL : Alors que les images de scènes de crime de Bertillon sont synthétiques, celles de Reiss procèdent plutôt de l’analyse, au sens de décomposition. Après avoir pris une vue d’ensemble, le photographe enquêteur se rapproche photographiquement de la victime pour, après l’avoir enregistrée de face et de profil, se focaliser sur tous les détails porteurs d’éventuels indices. Ces photographies s’ajoutent aux pièces à convictions prélevées sur le terrain : nouvelles traces, elles rejoignent aussi le laboratoire pour être soumises à l’analyse et à l’identification. Elles pourront alors révéler des détails invisibles à l’œil nu ou passés inaperçus, confirmant l’adage de Reiss selon lequel « l’appareil photographique est l’enregistreur qui voit tout et qui enregistre tout. »

EXPOSITION
Images à charge, la construction de la preuve par l’image
Du 4 juin au 30 août 2015
Le BAL
6, impasse de la Défense 
75018 Paris
France
http://www.le-bal.fr
La production de l’exposition est réalisée par le laboratoire Picto.

LIVRE
Images à charge, la construction de la preuve par l’image
co-édité par les Éditions Xavier Barral et Le BAL
Relié, 22 x 28,5 cm
240 pages
280 photographies N&B
45€
http://exb.fr

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