Les distractions étaient rares, à la campagne, dans les années soixante.
Un dimanche après midi d’un mois de Juin sans histoires, la bonne céda à mes supplications et m’emmena sur son Solex, à la fête du village.
Petite fille encore, je découvris le langage amoureux en fixant un couple, dans une auto tamponneuse.
L’homme avait un regard triomphal, la femme qui le tenait par la taille, semblait hypnotisée. Ensemble, ils zigzaguaient sur la piste, gonflés d’une joie innocente et barbare, tendus vers leur destinée.
Ils riaient aux éclats lorsqu’ils entraient en collision avec une autre voiture, leurs corps s’arcboutaient et la chevelure blonde de la fille volait dans tous les sens.
Je ressentais un mélange d’envie et de malaise devant leur exaltation. J’imaginais que l’amour c’était ça, prendre de l’élan, se jeter à corps perdu contre le premier venu, provoquer un carambolage et faire plein d’étincelles.
Les coudes appuyés sur la rambarde, sur la pointe des pieds, j’appelais de mes voeux cet instant fatal tout en le redoutant.
Je me disais qu’autant de bonheur brut ne pouvait pas être sans danger.
Quand ils quittèrent la piste, fourbus et hilares, l’homme empoigna brusquement les hanches de sa compagne et lui donna un long baiser. La poitrine de la femme se soulevait de plus en plus vite et son visage cramoisi exprimait autant le plaisir que la souffrance d’un animal pris au piège.
Je me sentis le témoin coupable d’une scène inavouable.
De retour chez mes parents, désorientée, je m’enfermai dans ma chambre et fis tourner machinalement la clef de la boîte à musique dans laquelle virevoltait un couple enlacé depuis toujours. Je contemplai cette valse résignée, et, soudain, fermai le couvercle d’un geste sec.
J’avais cessé d’être une enfant.
Laurence Meyer
Laurence Meyer: Coup de Foudre
Du 15 mai au 8 juin 2013
Galerie du Passage
20/26, galerie Véro-Dodat
75001 Paris
France
Tél : +33 (0)1 42 36 01 13