Dans ces photographies au format gigantesque, la monumentalité du sujet répond à l’aspect sculptural de l’objet. La démesure, motif récurrent, guide le spectateur à travers un parcours ambigu : le cœur d’un tronc décapité d’un sapin irradie la sombre forêt environnante d’un orange vif dont la vivacité si tranchée semble surréelle. Il évoque également une flamme, rappelant du même coup la fragilité de cette nature à l’allure indestructible. Deux autres photographies du même lieu, les Shotgun Rapids d’Idaho, sont accrochées avec une telle promiscuité dans une petite salle de trois murs qu’il est permis de les appréhender comme un triptyque. Ensemble, elles révèlent la puissance de cet écosystème, lignes géantes que l’appareil ne parvient pas à capturer dans leur intégralité, cimes affutées, labyrinthe de bois qui défie la condition humaine. A la pénombre impressionnante du premier coup d’œil suit la perception d’une réalité plus fragile, celle d’une foret dont les habitants filiformes dépouillés de leurs aiguilles se sont écroulés, arrachés par les vents, le manque d’espace, l’épuisement. On retrouve cette même ambiguité dans une photographie de troncs carbonisés, toujours fermement plantés et dressé dans un décor où le noir dont le feu a enduit leur peau tranche avec une végétation fine et incertaine. Ce sont justement des tamaris, réputés pour leur cannibalisme. Laura McPhee joue sur les proportions, aussi, ne donnant aucun indice sur son point de vue puisqu’elle passe d’un plan rapproché sur 30 cm2 de déchets peu à peu digérés par la terre – bris de verre et autre tiges métalliques rouillées, poreuses et polies sous l’effet d’un sol friable et glouton – à une vue très large de carrière. Dans cette dernière, c’est un indice à peine perceptible qui nous renseigne sur l’échelle : un pylone, dont les fines lignes de métal révèlent l’immensité du décor soudain vertigineux dont la photographie ne capture qu’un extrait. Quand ce n’est pas un élément de la scène, c’est la lumière qui fait prendre ou perdre conscience de la taille et de la réalité, comme dans l’image surplombant la rivière de San Juan, dans l’Utah. Sur deux photographies se rejoignent les innombrables stries et courbes des falaises cassantes, alignement de courbes hypnotisantes qui se rejoignent dans le demi-jour du précipice. Un rayon de soleil éclaire discrètement, à l’angle droit de l’image de droite, un bout de sol, celui d’où la photographie a été prise. Cette intrusion contrôlée, ajoute ce niveau ambigu de lecture à l’image puisque sa texture nouvelle est difficile à définir et qu’elle pourrait aussi bien faire partie du cadre original ou non. La composition en diptyque contribue probablement a cette ambivalence. Car si l’on est tenté de percevoir les forêts de l’Idaho comme un triptyque, c’est parce que la photographe joue de ce format, reproduisant l’immensité des déserts et autres canyons par l’accumulation des vues, sans jamais y parvenir vraiment. Ils sont un moyen de traduire une démesure incadrable autant qu’un paradoxe : entre artefact et nature dans la mine d’or du Nevada, entre surface plate et nivelée dans l’Utah. Pour son aspect cinématographique abordant explicitement cette tension entre réalité et fiction, la photographie d’un train-citerne dans un décor abandonné de l’Utah illustre l’absence de limites des grands espaces et résume les démonstrations plastiques de Laura McPhee.
Laurence Cornet
Laura McPhee: Desert Chronicle
Exposition jusqu’au 13 avril 2013
Galerie Bonni Benrubi
41 East 57th Street 13th Floor
New York, NY 10022
USA
Tél. : 212 888 6007