Chercher une maison, un endroit où elle aurait sa place, a fini par définir le langage visuel de la photographe Laura El-Tantawy. Née en Grande-Bretagne de parents égyptiens, Laura El-Tantawy a toujours navigué entre les cultures, en vivant en Angleterre, en Amérique, et en Égypte pour les vacances. Ce va-et-vient culturel a fait germer chez elle une réflexion sur le concept de « chez-soi » et sur l’endroit où elle serait à sa place. Ce questionnement la suit désormais partout où elle va.
Et c’est devenu le sujet principal de son dernier livre : Beyond Here is Nothing, exploration de cette idée de chez-soi, ce concept intangible que nous lions aux choses : une ville, un quartier, un pays, une maison ou un appartement. Mais l’appellation « chez-soi » est aussi un étiquette pour désigner des liens émotionnels qui vont bien au-delà de notre lieu de résidence, de l’endroit physique où nos gardons nos affaires. Ce qui nous fait nous sentir « chez-nous »: peut être une ou plusieurs personnes, des souvenirs ou des émotions. Il s’agit d’un concept évanescent, presque obscur, qui échappe à toute définition simple.
El-Tantawy raconte que vivre au sein de plusieurs cultures lui a donné le sentiment d’être « étrangère et un peu extra-terrestre » dans tous les pays. « Il s’en dégage un sentiment de solitude et je crois que le livre concerne en grande partie la solitude. J’ai pris beaucoup de mes images à travers ce prisme, je me sentais complètement enfermée dans ce sentiment. Il y a beaucoup d’images à travers des fenêtres, dans des miroirs, certaines sont des moments très calmes, réflexifs. »
Beyond Here is Nothing fait suite au livre précédent d’El-Tantawy, In the Shadow of the Pyramids, lui aussi publié à compte d’auteur, qui a rencontré un énorme succès et dont les images ont fait l’objet de nombreuses expositions. Prises en Égypte, les photos de Shadow exploraient elles aussi les concepts d’identité, d’appartenance et de chez-soi, mais avec pour toile de fond le Printemps Arabe, et le récit visuel reflétait aussi les espoirs et craintes collectifs d’une nation.
« Avec la révolution, il y avait toujours quelque chose à photographier en Égypte », affirme El-Tantawy. « Mais avec ce nouveau projet, j’avais vraiment l’impression de photographier l’ »imphotographiable »… à un moment où je sentais que j’avais quelque chose de très fort à dire et où la photographie était le seul moyen pour moi de le communiquer ».
Beyond Here is Nothing est une flânerie méditative qui offre un aperçu introspectif sur la psyché d’El-Tantawy et à ce titre c’est une démarche téméraire, mais aussi une œuvre inspirante qui présente une narration attrayante bien qu’un peu abstraite.
« Rassembler les éléments pour ce projet a constitué pour moi une manière de surmonter mes questionnements. En ce sens, c’était une démarche méditative. Travailler est devenu un moyen de répondre à cette sensation de blocage… Le titre est à double tranchant : il s’agit d’atteindre un point de perfection, où on est pleinement satisfait, ou il évoque l’obscurité, le sentiment d’être coincé dans un endroit, de ne plus savoir où aller ».
Même l’aspect du livre cherche à exprimer la complexité inhérente à la notion de chez-soi, transportant le lecteur à travers diverses émotions. Superbement réalisé, avec une couverture cousue, il se déplie à gauche, à droite et vers le haut, si bien que quatre clichés s’offrent en même temps à la vue. Avec ce format, le lecteur a pour première impression le point de vue d’El-Tantawy. Et c’est là l’ingéniosité de cette mise en page. Une fois qu’El-Tantawy vous a promené le long de son voyage émotionnel, qui compte des images et du texte qui « tient lieu de ponctuation », le lecteur a le loisir de réarranger les pages, de plier le livre d’une autre façon, de bouleverser l’ordre des images afin de créer une perspective nouvelle.
El-Tantawy explique la réflexion à l’origine de ce format particulier : « C’est le livre d’une quête qui pour moi est infinie, et je pense qu’il en va de même pour le lecteur. À mesure que l’on découvre ces strates émotionnelles, on est gagné par la confusion, perdu, des fois on tombe amoureux, on rêve à d’autres, puis on arrive à la fin du livre et on se dit « Bon, et maintenant ? » C’est un peu mon état d’esprit ces dernières années, et j’ai fait ce livre à propos de ce questionnement, pour proposer ma réflexion là-dessus ».
Nombre de ces photographies ont d’abord été publiées sur le compte Instagram de Laura El-Tantawy, mais elle explique que la nature éphémère de la consultation en ligne les rendait moins réelles, alors que l’impression leur a pour ainsi dire insufflé la vie. « Quand je regarde une image en ligne, en général je l’oublie vite, peut-être à cause de la quantité d’images que je vois. Elles arrivent devant mes yeux puis disparaissent. Les avoir imprimées dans un livre leur donne un pouvoir de rémanence ; vous êtes confrontés à une image physique, alors que lorsqu’elle disparaît de votre fil, c’est fini, on ne la revoit plus à moins de faire l’effort conscient de la retrouver. Ce que j’adore quand je vois ces images dans un livre, c’est aussi que ça me donne une impression de travail achevé. »
Bien que le sujet puisse en apparence sembler un peu terne et déprimant, Laura El-Tantawy assure que c’est une histoire sur les possibilités qui s’offrent à vous. « Au final, c’est réjouissant », dit-elle en riant. « Mais il faut vivre cette expérience, ce périple, pour trouver la lumière. »
Alison Stieven-Taylor
Alison Stieven-Taylor est une auteur spécialiste en photographie basée à Melbourne en Australie.
Laura El-Tantawy, Beyond Here is Nothing
Edition à compte d’auteur tirée à 500 exemplaires signés et numérotés
165 €