Pour sa 11e édition, le programme de soutien porté par l’Arab Fund for Arts and Culture, la Magnum Foundation et le Prince Claus Fund met une nouvelle fois en avant et accompagne le dynamisme photographique du monde arabe.
Un grand tissu bleu tranche avec le paysage désertique et fait le lien entre deux photos. Sous la toile, on devine des corps humains debout qui forment un relief graphique saisissant. L’œuvre est extraite d’Address Not Found, projet documentaire de Roba Alfaraouna consacré aux espaces et aux villages bédouins du sud de la Palestine occupée. Face à l’absence de photographies et de documentation locale, la photographe cherche à capturer et préserver ces récits et ces paysages menacés. Ce travail impressionnant est l’un des dix projets retenus cette année par L’Arab Documentary Photography Program (ADPP). Le dispositif de soutien et de promotion de la photographie du monde arabe offre chaque année une vitrine à une poignée d’artistes visuels à qui il offre les moyens de travailler dans leur pays de résidence et qu’il accompagne par un mentorat et des workshops.
Imaginé en 2014, il est notamment porté par l’Arab Fund for Arts and Culture, fondation indépendante visant à bâtir une scène culturelle et artistique en faisant notamment dialoguer les voix émergentes et confirmées dans un monde arabe en pleine transformation. Grâce à une association avec la Fondation Magnum qui a pour mission de « développer la créativité et la diversité de la photographie documentaire » et avec le Prince Claus Fund, L’ADPP a ainsi accompagné depuis sa création 94 photographes dont les approches créatives du récit visuel remettent en question les récits conventionnels sur la région.
L’exil et les territoires
Cette année, le jury composé de Heba Farid, artiste égyptienne, commissaire d’exposition et chercheuse, Rula Halawani, photographe et enseignante palestinienne, et Sabiha Çimen, membre de Magnum Photos et photographe turque, a loué « la capacité des photographes à capturer la diversité de leur patrimoine culturel et à proposer des perspectives innovantes. L’engagement des candidats envers la profondeur conceptuelle et la maîtrise de leur art était inspirant, chaque projet racontant une histoire unique. » Et pour faire leur choix, compliqué, les quatre membres ont été particulièrement sensibles « aux représentations poignantes de la perte, de la destruction et à l’importance des actes de mémoire dans les projets soumis ».
Les projets lauréats explorent notamment l’exil, la guerre et la transformation des territoires. Avec Dear Home, Khalid Alarabi met en parallèle son déplacement et des archives d’exils forcés au Soudan. An Unexpected Tale From a No Longer-Forgotten City de Hassan Kamil documente sa fuite de Khartoum après la guerre, tandis que On War and Displacement de Hashim Nasr explore l’impact émotionnel du conflit soudanais. Omar Malas, avec Existential Questions in the Time of Genocide, interroge l’existence au milieu des massacres. Avec But We’re Nearing the Pomegranate Season, Rabab Chamseddine documente la résistance écologique au Liban et Roba Alfaraouna, avec Address Not Found, préserve les récits menacés des villages bédouins de Palestine. Dans Lowest Point on Earth, Maryam al-Khasawneh s’intéresse à la disparition de la mer Morte. Grey Is The New Green de Fares Zaitoon lie destruction urbaine au Caire et rétablissement après une dépendance. Ahmed Alaqra mêle visuels nouveaux et d’archives pour reconstruire la mémoire d’un paysage passé marqué par la violence dans How to Fabricate a Memory ? Enfin, avec Photo Boulos, Paul Gorra recrée un studio photo éphémère à Tripoli pour constituer une archive contemporaine.
Ces projets révèlent des sujets et des approches différentes, rassemblées selon le jury par « des concepts clairs, une cohérence visuelle et une résonance émotionnelle. Bien que la qualité esthétique des images soit importante, la sélection finale reflète des projets forts, créatifs et uniques. »
Benjamin Rullier
Plus d’informations