Protéger la photographie, ses artistes, leurs œuvres. La mission peut paraître grandiose, elle repose en grande partie sur le droit d’auteur. Contrairement à sa consœur musicale la SACEM, la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) demeure méconnue du grand public. Son action mérite pourtant un coup de projecteur. Artistes plasticiens, céramistes, peintres, graffeurs, designers, auteurs BD ou photographes lui font confiance. Lumière donc, aux côtés de sa directrice générale, Marie-Anne Ferry-Fall.
Au juste, qu’évoque pour vous le droit d’auteur ? Si vous n’avez pas de formation juridique, hélas, pas grand-chose ! Sait-on qu’une œuvre est protégée par le droit sitôt qu’elle est créée ? Si peu ! On l’imagine vaguement. Et saviez-vous qu’une fois l’œuvre divulguée, l’artiste est en droit de percevoir des dividendes qui lui permettent, sinon de vivre, au moins d’adoucir ses fins de mois ? Oui peut-être… mais on l’oublie aussitôt. Et dès lors, qui collecte et distribue cet argent, assurant une sécurité certaine aux artistes ? En une phrase, les sociétés de droits d’auteur.
Protéger les artistes et faire respecter le droit d’auteur n’est pas une mince affaire. Un coup d’œil aux chiffres donne une idée de l’étendue de la tâche. Il y a en France quatre grandes sociétés d’auteurs : SACEM (musique), SACD (audiovisuel et spectacle vivant), SCAM (audiovisuel) et ADAGP (arts visuels). À elle seule, l’ADAGP compte 12 000 auteurs, membres directs, dont 10 000 artistes vivants. Elle représente près de 40 disciplines artistiques différentes dans les arts visuels (peinture, sculpture, photographie, architecture, design, BD…). En 2016, la société a perçu « 36 millions de perceptions dont 90% vont aux auteurs, les 10% restants venant couvrir les frais de gestion », précise sa directrice.
Comparée aux 900 millions de droits d’auteur perçus par la SACEM, l’ADAGP pourrait faire pâle figure. Pourtant, l’institution est une pionnière mondiale. Depuis sa création en 1953, par des artistes tels que Braque, Calder, Chagall, Dali ou Miro, elle a vu la création de sociétés-sœurs dans 50 autres pays. Une grande famille qui chapeaute près de 130 000 auteurs. « Dans le monde, l’ADAGP est historiquement la plus importante des sociétés de droits d’auteur dans les arts visuels », explique Marie-Anne Ferry-Fall. Au-delà de sa première fonction, soit la perception et le reversement des droits aux artistes, l’ADAGP assure également une seconde mission, plus universelle : la défense et la promotion du droit d’auteur dans le monde. « Dans certains pays, le droit d’auteur n’existe pour ainsi dire pas, ou reste pratiquement lettre morte. En Pologne, il n’y a pas de société d’auteurs. La Turquie, Israël, le Liban, n’en ont pas non plus. » Les cas de figure sont différents mais on peut tenir comme certain qu’« un pays qui n’a pas de droits de l’homme n’a pas de droits d’auteur. », assène Marie-Anne Ferry-Fall. L’exemple de la Chine est particulièrement parlant. L’art officiel subventionne et protège les artistes. Des villages-manufactures, où sont installés les créateurs dans des ateliers hors-norme de 400 m2, poussent en périphérie de Pékin. Les commandes de l’État rendent le droit d’auteur inutile, en apparence tout du moins, car nombre d’artistes déplorent par la suite le pillage de leurs œuvres par des sociétés commerciales sans scrupules.
Dernière fonction, et non des moindres, l’action culturelle. Conséquence de la loi sur la copie privée, datant de 1985, l’action culturelle permet à l’ADAGP de subventionner jusqu’à 150 manifestations ou institutions par an, de 1 000 à 30 000 euros. « Il y a des actions culturelles de grande importance : le prix Le Bal que nous coorganisons, les bourses de création destinées à encourager les jeunes talents, le financement de portraits d’artistes filmés par Arte, un programme d’éducation artistique et culturelle « Culture(s) de demain », qui donne lieu chaque année à une exposition au 104 ».
« Le financement de cette action culturelle vient de la rémunération pour la copie privée – à savoir les reproductions que l’on fait sur des supports personnels à des fins personnelles. L’exemple type est le bon vieux magnétoscope où l’on enregistrait sur des cassettes à bande magnétique des musiciens », explique Marie-Anne Ferry-Fall, une nouvelle fois pédagogue. « Aujourd’hui, c’est le smartphone, les enregistreurs box, le cloud… La loi prévoit que, sur toutes ces sommes, les trois-quarts reviennent aux auteurs et que le quart restant serve à financer des actions culturelles.
Depuis 2016, l’action culturelle de l’ADAGP a notamment permis la création d’un prix et d’une exposition d’artiste, avec le concours du BAL. Le premier lauréat, Clément Cogitore, a ainsi pu travailler à son court-métrage, Braguino ou la communauté impossible, actuellement exposé au BAL. En novembre dernier, c’est Yasmina Bennabderrahmane qui a reçu ce prix. Les photographes méconnaissent parfois l’étendue des actions portées par l’ADAGP, c’est un tort. Un prix avec le BAL, un engagement sans faille pour la défense de leurs droits, des bourses pour les premières monographies. Ce n’est pas rien !
C’est là un paradoxe plaisant. L’ADAGP est une institution qui ne cherche ni l’éclat ni les communications tapageuses. Le droit est sa philosophie, les principes de la défense artistique un objectif inchangé. Quand on voulut tirer son portrait, Marie-Anne Ferry-Fall sembla sur la réserve : « Parlez plutôt des artistes et de la maison ! ». S’il faut trouver de sa personne dans l’entreprise, elle est à voir dans ses combats. La suite, dans l’épisode 2.
Arthur Dayras