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Model Woman : la vie secrète du mannequin Eileen Ford

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L’acteur shakespearien John Robert Powers avait commencé à poser en freelance pour des shootings de mode, alors que les plateaux commencent à lui manquer. En 1923, il publie son premier catalogue photo d’une quarantaine de modèles, hommes et femmes, avec descriptions et mensurations précises. Puis il installe les bureaux de la John Robert Powers Modeling Agency dans une demeure ancienne, juste au-dessus d’un bar clandestin, dans une rue donnant sur Broadway. L’industrie du mannequinat est née.

C’est après la Première Guerre mondiale que le marché de la beauté prend son essor. Pendant les années 1920, il se place parmi les dix premiers aux Etats-Unis et en 1929, les ventes au détail de produits cosmétiques et d’hygiène atteignent 378 millions de dollars. La médiatisation et la publicité accompagnent le mouvement, entraînant à leur tour le développement du mannequinat. En 1930, un autre acteur « au repos », Walter Thornton, fonde lui aussi son agence de mannequins, quelques mois seulement après le crash de Wall Street.

Vers la fin des années 1930, le nom qui brûle toutes les lèvres à New York est celui d’Harry Conover. Grand, avec ses yeux verts et ses cheveux ondulés, il a débuté sa carrière comme mannequin chez John Robert Powers, avant de déserter avec son collègue et colocataire, le séduisant Gerald Rudolph « Jerry » Ford, Junior. Ce dernier, futur sénateur du Michigan, vice-président de Richard Nixon et président des Etats-Unis, deviendra propriétaire de l’agence Conover pendant quelques années. A l’instar de Walter Thornton, Conover aime donner à ses « Conover cover girls » des identités exotiques et leur invente des noms aguicheurs pour égayer leurs noms de famille ordinaires : « Chili » Williams, « Jinx » Falkenburg, « Dulcet » Tone ou encore « Frosty » Webb.

Lorsque Jean Campo amène Eileen Otte aux bureaux de l’agence Powers en 1940, au début de ses vacances d’été, Conover repère immédiatement qu’il ne s’agit pas là d’une poupée glamour. Il sait choisir les visages naturels et « authentiques », que les publicitaires préfèrent parfois à des beautés plus sophistiquées. Eileen est dotée d’une fraîcheur d’étudiante, de traits mutins et enthousiastes, ainsi que d’un adorable nez retroussé. Elle correspond parfaitement à ce que l’on recherche pour un créneau à court terme : le magazine Mademoiselle sort chaque année un numéro « universitaire » qui couvre la mode jeunesse pour l’automne. Personnages distants et ambitieux, les mannequins professionnels ne sont finalement que des fantasmes, alors que la figure de l’étudiante est ancrée dans la réalité. Eileen l’incarne à la perfection. Conover lui réserve alors des séances photo pour le hors-série de Mademoiselle.

Malheureusement pour Eileen Otte, la légende qui accompagne son moment de gloire, à l’occasion de sa seule photo éditoriale, comporte une erreur : à la page 170 du numéro « universitaire » d’août 1940, on la nomme « Helen Otte ». Plus tard dans l’année, elle devient cependant « cover girl » et affiche son sourire éblouissant sur la première de couverture du cahier Campus Classics for Knitters d’octobre 1940. Ses photos sont également publiées à l’intérieur et on la voit installée sur des marches de pierre, radieuse, en chaussettes à la Heidi, avec des patins à glace à la main.

« C’est grâce aux patins que j’ai eu le contrat, se souvient-elle. J’étais la seule de l’agence à en avoir. J’ai signé de nouveau avec Conover pour l’été 1941 et il m’a trouvé toujours plus travail. »

Une fois de plus, Eileen figure dans les pages de Mademoiselle, parmi un éventail d’autres étudiantes. Elle y arbore une collection d’ensembles de soirée pour Saks-34th Street. On la voit également dans les pages du sacro-saint Vogue, pour le compte de la rayonne Enka et des robes SporTimer (« To See Them Is to Want Them! » – « Les voir, c’est les vouloir »). Elle atteint le summum de sa carrière lorsqu’elle apparaît en septembre de la même année sur la couverture de Liberty, le « Weekly for Everybody » ou « hebdo pour tout le monde ». Toute petite, Eileen lève un regard admiratif vers un géant musclé, un joueur de football de l’équipe du Big Red de Cornell.

Devenue à son tour un éminent agent de mannequins, elle revient sur sa carrière. Si elle a oublié les détails de sa dernière séance photo de l’époque universitaire, elle se souvient malgré tout d’un point majeur : « Conover ne m’a jamais donné un centime pour tous les shootings qu’il m’a réservés ». Existerait-il un débouché, dans le monde de la mode, pour une agence qui traiterait ses mannequins avec un minimum de décence ?

Au cours de l’été 1944, Eileen Otte rencontre son futur époux, Jerry Gord et s’engage sur un chemin qui la mènera vers la création, avec lui, de la Ford Modeling Agency. L’histoire commence sur la plage de Jones Beach, non loin de sa demeure de Long Island. Allongée sur une serviette, Eileen pratique son activité préférée : le bronzage.

Puis elle bondit sur pied, porte une main à l’oreille et l’autre à sa hanche, pour représenter la parfaite jeune fille des années 1910. Elle enfile ensuite un « costume de bain » noir et blanc à pois et s’avance dans les vagues, pour figurer une baigneuse de 1922, l’année de sa naissance. Avec ses traits animés et son large sourire, Eileen est la star du numéro en couleur original qu’Elliot Clarke prépare ce jour-là sur la plage de Jones Beach. Elle termine sa performance en posant en maillot moderne – de 1944 – avec des enfants et d’autres baigneurs, rassemblés autour d’un panier de pique-nique, dans un tableau digne de Norman Rockwell.

Les clichés paraissent le 5 août 1944 dans un numéro du Saturday Evening Post magazine, sous le titre « Yes, My Daring Daughter ». Ils sont loin de provoquer une avalanche d’appels des agences. Et d’ailleurs, cette séance avec Clarke sera la dernière de la carrière de mannequin somme toute modeste d’Eileen. Elle marquera cependant une étape cruciale dans sa progression vers une carrière remarquable et exceptionnelle de l’autre côté de l’objectif.

Robert Lacey

Robert Lacey, Model Woman : Eileen Ford and the Business of Beauty
Harper
29,99 dollars
ISBN: 9780062108074

www.harpercollins.com

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