2014, c’était l’année du 50e anniversaire des relations France-Chine, et celle où le mythique Studio Harcourt célèbre son 80e anniversaire. Car le plus vieux studio photographique encore actif au monde est né en 1934 à Paris, du nom de sa co-fondatrice, la photographe Cosette Harcourt.
Sa longue et brillante carrière est indissociable du cinéma, des arts et des lettres, via le glamour, le mythe, les stars, depuis son studio d’accueil au décor de cinéma jusqu’à son style d’éclairage inspiré par Henri Alekan, le chef-op du film La Belle et la Bête (1946), de Jean Cocteau, qui fait surgir les visages et les corps de l’obscurité.
Sa collection unique de 1 500 portraits de célébrités fait désormais partie du patrimoine culturel français. A l’heure de la généralisation du numérique et des selfies, plus que jamais le Studio Harcourt de Paris apparaît comme une figure de référence, voire une figure de révérence dans la transcendance d’un portrait photographique. Son art tient à son pouvoir transfiguratif : Harcourt en effet transforme chaque modèle en “acteur”, donnant à son visage un éclat inhabituel. L’écrivain Roland Barthes écrivait dans son livre Mythologies de 1957 : « En France, on n’est pas acteur si l’on n’a pas été photographié par les Studios d’Harcourt. L’acteur d’Harcourt est un dieu ; il ne fait jamais rien : il est saisi “au repos”. »
Citons Francis Dagnan, le président d’Harcourt: « Tous les jours, les artistes de Studio Harcourt Paris scrutent, dans une atmosphère presque religieuse, le mystère du visage humain pour en révéler la présence de l’être et, lorsque le secret d’un esprit apparaît derrière le modèle, donner au portrait une vie qui lui est propre. L’art de la lumière, le sens du cadrage et la mise en scène du sujet, constituent la clé de voûte du style Studio Harcourt et l’héritage vivant d’une longue lignée de photographes, formés à l’art du portrait. »
A 80 ans donc, Harcourt franchit une nouvelle étape en entamant son internationalisation. Cela commence par la Chine, pays où la photographie fut introduite sitôt inventée, à partir des années 1840, avec une exposition majeure de 80 portraits, qui a inauguré le festival Croisements France-Chine à Chengdu en mai 2014, et qui se tient en ce moment au Musée des beaux-arts de Dalian jusqu’au 30 janvier 2015, dans ce bel hôtel particulier construit par les Russes en 1902. Comment appliquer la lumière d’Harcourt sur un visage chinois comme on appliquerait un maquillage qui transforme un acteur en personnage d’opéra ? C’est tout le secret des photographes de plateau du Studio Harcourt de Paris, nourris de l’histoire de la maison, et surtout, de l’histoire du cinéma. Cette exposition, la première de son genre en Chine, réunit 40 personnalités des arts et des lettres de France avec 40 personnalités de Chine, dans un beau mélange de concours de caractères.
La sélection des 40 personnalités chinoises résulte d’un long travail de recherche entrepris depuis 2012. En effet, les photographes d’Harcourt n’hésitent pas à se déplacer depuis Paris jusqu’à Pékin, Shanghai, Hong Kong ou Shenzhen, reproduisant l’ambiance et le confort du plateau de Paris, recréant jusqu’au salon de maquillage, dans des studios éphémères, afin de capter la lumière des visages chinois. Ils prennent le temps de scruter chaque visage, chaque posture, afin d’écrire un scénario de postures et d’attitudes, et de placement des éclairages, à la manière d’un metteur en scène.
Dans ce parcours fascinant de portraits iconiques, d’Edith Piaf à Jean Reno, de Sophie Marceau à Louis de Funès, la surprise vient de la découverte des artistes chinois, modelés selon le style Harcourt. De l’actrice Fan Bingbing à l’artiste Yue Minjun, chacun pourra les admirer et réfléchir à la magie de la photographie de portrait dans tout son sens étymologique : “Peindre avec la lumière”, et mesurer la force de transfiguration du Studio Harcourt. Tel ce profil de Maleonn, l’artiste-photographe de Shanghai, projetant son regard courroucé dans le vague, évoquant un je-ne-sais-quoi de Fernandel. Ou ce portrait du peintre Zhang Enli, qui sur une plaisanterie du photographe d’Harcourt, a carrément retiré sa chemise pour révéler un corps insoupçonné de culturiste, dans ce cadrage qui forme un buste de sculpture grecque. Si parmi les célébrités françaises beaucoup sont déjà partis dans l’autre monde, en revanche parmi cette collection récente de portraits chinois commencée en 2012, un artiste a le triste privilège de rejoindre le rang des immortels Harcourt : Wu Tianming, le réalisateur du très émouvant Roi des Masques (1996), est décédé peu de temps après avoir posé en penseur de Rodin. Dans la palette des spécialités techniques d’Harcourt, on peut aussi relever le jeu subtil de la posture de l’actrice Fan Bingbing dans ce dialogue entre son bras et l’accoudoir de la chaise, ainsi que le “flou net” appliqué sur le visage en plongée de l’artiste-sculpteur taiwanais Huang Zhiyang, et enfin ce portrait en pied qui n’a été réservé qu’à Edith Piaf jusque-là, et est aujourd’hui dédié à Gao Bowen, “le prince du Ping Tan”, une forme d’opéra chanté par un conteur s’accompagnant d’un San Xuan (instrument à trois cordes). Le plus étonnant est ce portrait, relevant du pur classicisme Harcourt et pourtant d’une modernité époustouflante, de Gigi Chao, cette belle célébrité hongkongaise : tournée de trois quart, avec un halo dans son dos, Gigi fixe la caméra de son regard perçant et courageux, les doigts de sa main gauche à hauteur d’épaule comme un défi, montrant fièrement sa bague de mariage avec sa compagne, événement qui a défrayé la chronique lorsque son milliardaire de père a offert 95 millions d’euros au premier homme qui arrivera à la séduire et l’épouser.
C’est là toute la magie transfigurative d’Harcourt.
Jean Loh
EXPOSITION
80 Portraits du Studio Harcourt
Jusqu’au 30 janvier 2015
Musée des beaux-arts de Dalian
35 Shengli street, Xigang district
Dalian, 116011
Chine
Tel : +86-411-8254 0584