Epuisés, apaisés, les deux peut-être, ils dorment derrière la vitre de la voiture au travers de laquelle le photographe les surprend tendrement. Lumière grise, filtrée, grain sensible, quelques brillances, tout est alors douceur. Abandonnés, ils semblent encore plus jeunes qu’ils ne sont, partis dans un monde qui leur appartient en propre et que les reflets séparent du nôtre encore plus surement que la vitre. L’explication tient dans les autres images, celles qui situent la scène, dès que le regard élargit le champ à une forêt de résineux que la lumière fait briller, à de grands espaces de nature déserte, à ces territoires du Nord qui respirent amplement et dont la nudité, qui peut être exaltante, n’en est pas moins pénible à des adolescents que guette l’ennui. Ils ont besoin de libérer l’énergie qui est en eux et de faire exploser cet ennui qui les mine. Alors, il se sont emparés de ces « car-tractors », ces voitures transformées en outils agricoles dont ils bricolent les moteurs pour libérer de la vitesse ; dont ils font crisser les pneus, pour lesquels ils exagèrent l’usage de l’huile afin de se livrer aux ivresses de la vitesse.
Christian Caujolle
Aujourd’hui commissaire indépendant, Christian Caujolle a notamment été directeur de la photographie au journal Libération, a créé l’agence VU’, et enseigne à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière, à Paris.
Martin Bogren, Tractor Boys
Publié par The Eyes Publishing
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