Durant toute la seconde moitié du XIXème siècle, ils ont régné en maître. Félix, Adrien et Paul ont contribué à élever la photographie au rang d’art tout en ne cessant pas d’inventer. Une large exposition leur rend hommage à la BNF à Paris.
Le N gigantesque, en zigzag, et d’une couleur rouge, vivifiante : tel est la première lettre de la signature du nom Nadar qui apparaît immense sur une cimaise à l’entrée de l’exposition. Façon de convier immédiatement le visiteur à la gloire d’une famille dont la signature voulait dire quelque chose : une manière de faire, une expertise certaine.
Non loin de cette cimaise, à quelques mètres, voici la première photographie exposée : la mère des Nadar, Thérèse Maillet, photographiée vers 1854. D’emblée nous sommes invités à la galerie des portraits de famille : Félix (1820-1910), son frère Adrien (1825-1903) et le fils de Félix, Paul (1856-1939). Félix est le premier Nadar. C’est lui qui troquera le nom Tournachon pour ce pseudonyme qu’il lui préférait. Adrien, lui, va rester Tournachon, mais évoluera dans le sillage de son frère, jamais loin de cette entreprise immense bâtie au début de la seconde moitié du XIXème siècle.
Esquimaux
Cette galerie de portraits nous en apprend déjà beaucoup sur ces hurluberlus, aficionados de la photographie. Sans doute fallait-il avoir un peu de folie pour se lancer dans une telle aventure. À l’époque, la photographie vient tout juste de voir le jour, en 1839 si on prend comme date la démonstration de François Arago devant l’Académie des sciences et l’Académie des Beaux-arts. Et pourtant…Celui qui sera d’abord un dessinateur, Félix, va consacrer sa vie à la photographie. Nous pouvons l’observer dès les premiers portraits présentés. Dans une scénographie élégante, aux murs rouge par endroit – la couleur de cœur de Félix Nadar – s’étalent des images de la famille posant devant l’objectif. Paul, qui est alors un enfant, passe son temps dans l’atelier de son père. Parfois, ils s’habillent tous – Ernestine, l’épouse de Félix, compris – de déguisements à la mode à cette époque : en orientaux, en esquimaux…et révèlent par là leur sens de l’humour, leur humeur d’artistes.
Victor Hugo
S’ils excellent dans leur propre portraits – il y a de nombreux autoportraits – ils réalisent aussi parfaitement bien ceux des autres et principalement des célébrités. Félix Nadar, l’aîné, fera un fameux portrait de Charles Baudelaire, les mains rangées dans son pantalon et le regard perçant, comme un aigle, illuminé. Il prendra en photographie un nombre incalculable d’artistes dont par exemple Alexandre Dumas, Jean-François Millet ou encore Honoré Daumier. Eugène Delacroix qui se voit aussi photographié lui demande dans une lettre de détruire le cliché et prie pour que personne ne le voit. Félix fera le portrait de Victor Hugo sur son lit de mort. Son fils, Paul, dira qu’il s’agit d’un des chefs d’œuvre de son père fait à la lumière naturelle quand un brin de soleil était entré dans la pièce où était étendu le corps du père des Misérables.
Le tsar
Félix n’est pas le seul à faire de magnifiques portraits. Son frère, Adrien Tournachon, immortalisera un grand nombre d’artistes et notamment le poète Gérard de Nerval quelques jours avant son suicide. Cette photographie est célèbre. On y voit l’auteur des Chimères assis, nous regardant droit dans les yeux avec un regard plein d’humanité. Le fils de Félix, Paul, va, quant à lui, photographier des personnalités illustres et difficiles à saisir. Le tsar Alexandre III vers 1891 ou encore le prince de Galles, Edouard VIII, en 1912. C’est lui, aussi, qui prendra en photographie Joséphine Baker vers 1930 et Stéphane Mallarmé à sa table, une plume à la main, vers 1897. Paul a ses entrées au club des férus d’aviation. Il photographiera Maryse Rastié, l’une des premières aviatrices françaises.
Les ateliers
Cette qualité des portraits s’accompagne d’une entreprise complexe où il s’agissait aussi de faire commerce des photographies et demandait d’être ouvert au monde de l’industrie. Une partie de l’exposition montre bien les errements de la famille quand il s’agit de trouver un atelier. D’abord installé dans un bâtiment immense au 35 boulevard des Capucines à Paris, les Nadar devront déménager tant le lieu est coûteux et investir un atelier plus modeste, rue d’Anjou. Ils peuvent néanmoins compter sur un solide réseau d’amis et surtout et avant tout dans le monde de la presse. Théophile Gautier, Louis L’Herminier, Hippolyte de Villemessant ou encore Victor Cochinat sont tous des proches de Félix Nadar et vont être, eux aussi, photographiés.
Cirque
Un autre domaine où s’illustrent les Nadar est celui des arts du spectacle. Paul Nadar, surtout, fera le portrait de Sarah Bernhardt habillée en Pierrot – image qui fait l’affiche de l’exposition. La célèbre actrice semble avalée par son costume et paraît mélancolique, comme emportée par la tristesse de son personnage. Si Paul a photographié Sarah Bernhardt dans ce costume, son père l’avait fait avant lui : vers 1854, alors que l’actrice n’est pas encore une célébrité, il l’a immortalisé drapée de blanc, drapée de noir, dans un dytique élégant où est convoqué la sensualité de cette femme hors norme. Ces portraits du monde du spectacle est également l’apanage d’Adrien Tournachon qui prend par exemple en photographie les animaux et acrobates du Cirque de l’Impératrice en 1861.
Jules Verne
Loin de se cantonner à la réalisation de portraits, les Nadar ont aussi été de farouches expérimentateurs. Ils vont, surtout Paul avec le nouvel appareil Kodak, tenter de prendre des photographies « instantanées », c’est-à-dire en réduisant le maximum le temps de pose. Par ailleurs, ils vont entreprendre de photographier les lieux sombres et la nuit grâce à la lumière artificielle. Ainsi, Félix Nadar réalisera un reportage dans les égouts de Paris, un autre dans les Catacombes. Mais surtout les Nadar sont connus pour une autre expérimentation qui feront d’eux des inventeurs de génie qui auront su marquer l’histoire : ils sont les premiers à avoir réalisé de la photographie aérostatique à bord d’un ballon. Plusieurs photographies présentées dans l’exposition en attestent, comme cette vue de Paris à 520 mètres d’altitude. Cette prouesse inspirera même Jules Verne pour son roman De la Terre à La Lune. Il écrira à Nadar : « Mon cher et brave ami (…) Le bruit de tes nouveaux exploits est arrivé jusqu’à moi au fond de la Bretagne. (…) En ce moment j’ai à mettre en scène dans un livre un homme doué du coeur le meilleur et le plus audacieux, et, je t’en demande bien pardon, c’est toi que j’ai pris pour modèle. »
Jean-Baptiste Gauvin
Les Nadar, une légende photographique
16 octobre 2018 au 3 février 2019
François-Mitterrand / Galerie 2
75013 Paris