De nombreux photographes profitent aujourd’hui des possibilités d’impression numérique pour imaginer des expositions qui sortent des formats d’impression établis, les confrontent, les font dialoguer et proposent au public une nouvelle narration de leurs projets photographiques.
Depuis les premiers pas de la photographie et les daguerréotypes qui atteignaient au maximum 21cmx16,5cm, la photographie et ses évolutions techniques constantes ont permis de repousser petit à petit les limites des formats d’impression et d’expression. Les images grand format, participant notamment à faire entrer la photographie dans les musées au même titre que la peinture, se sont multipliées. Aujourd’hui, galeries, musées et festivals du monde entier n’hésitent pas à exposer des tirages monumentaux. En France, le festival de la Gacilly a par exemple été un des précurseurs à présenter des œuvres gigantesques sur des toiles pouvant atteindre 70m2. Un format à la fois artistique et démocratique, comme l’expliquait Yann Morvan à lemag-ic.fr : “Les gens veulent bien se déplacer pour voir du grand format. C’est ludique et on amène un public plus amateur à la photo, qui est un moyen pédagogique formidable”.
Tirage numérique, sur toile, bâche, dibond, encadré ou non… Les possibilités sont multiples et amènent les nouvelles générations de photographes à s’approprier les formats et à casser les codes des expositions classiques en jouant sur les proportions, les supports, en travaillant la superposition, l’enchevêtrement, en s’amusant de l’espace et de sa perception.
Dans une exposition de photographie baptisée L’AS explorant les coulisses d’un club de football féminin, le photographe Benjamin Rullier s’est aussi délicatement intéressé à la taille des formats et à l’association, l’organisation des images afin de créer une narration authentique.
L’exposition inaugurera une médiathèque remise à neuf avec des pans de murs propices aux grands formats, mais aussi différents murs et espaces qui peuvent se découvrir en déambulant. Pour cette série, j’ai d’abord choisi d’accueillir les visiteurs avec un tirage grand format qui représente une serviette posée sur une butte de terre qui sert de tribune sauvage. La photo, un peu énigmatique, sera visible dès l’entrée de la médiathèque et incitera à pénétrer dans l’espace et dans l’univers de l’exposition. Le fait d’imprimer sur du papier satiné de l’entreprise Saal m’a permis d’avoir des images profondes et précises qui s’intègrent au décor, comme un papier peint, pour ensuite jouer le décalage avec des formats plus petits, parfois encadrés, qui peuvent se superposer. J’avais par exemple pour références des expositions de Yann Gross, Wolfgang Tillmans ou David Favrod.
Une grande partie de l’exposition est consacrée à des portraits de joueuses et je souhaitais qu’elles apparaissent en assez grand format, presque en taille réelle, afin d’accentuer un sentiment de réalisme. Je me suis aussi amusé à jouer avec les différents espaces, qui amènent à découvrir d’autres aspects du club : un triptyque de vieux panneaux directionnels indiquant la direction du stade qui sera caché dans un recoin, deux diptyques d’objets de spectateurs, etc. En travaillant avec l’entreprise Saal pour toutes ces impressions, j’ai pu jouer simplement avec des formats différents qui seront parfois encadrés, parfois simplement légèrement punaisés aux murs, tout en gardant une cohérence dans les papiers et la qualité d’impression.
Le travail de narration se fait en fonction de ma vision du projet, de ce que je veux raconter, mais n’est pas la même que sur un livre ou un site. Elle se réinvente avec le lieu dans lequel elle s’intègre, la lumière, les espaces. Jouer sur les formats et les images amène un côté plus accessible, moins formel, permet aux spectatrices et spectateurs de s’approprier plus facilement le projet, notamment dans des lieux comme les médiathèques qui sont fréquentées par des gens qui ne viennent pas forcément pour l’exposition. L’idée, c’est que ce soit un jeu pour tout le monde.