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La Photographie pour les Dupes

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Je suis toujours navré de constater, sous mes yeux, un acheteur se faire enfumer par un de nos congénères sans beaucoup de scrupule. Cette scène devient totalement navrante lorsque le vendeur (également producteur de l’image) commet son méfait en toute innocence. Le comble s’exprime lorsque la vente est réalisée par un intermédiaire, dit professionnel de surcroit, qui escroque littéralement ses acheteurs aux risques partagés pour l’auteur, souvent producteur inconscient.

Bien entendu, vous me voyez arriver, avec mes gros sabots, nous allons aborder le malaise profond de la photographie abusivement dénommée d’Art. Je préfère l’attribut de création pour être moins présomptueux et sans anticiper sur l’avenir hypothétique des œuvres proposées. Rien n’a été plus mortifère pour l’image photographique et pour sa diffusion que le non-respect suicidaire des textes légaux pour défendre l’intégralité, l’originalité et l’authenticité de nos œuvres. Les nombreuses jurisprudences d’un grand nombre de pays protègent notre travail et les acheteurs. Toutes les actions de créations, de la musique à la littérature, de la sculpture à la danse, se font respecter parce qu’elles appliquent scrupuleusement les limites de fond et de forme qu’elles ont définies avec les législateurs. Il devrait en être de même pour la photographie avec ses nombreux pôles de protection.

Malheureusement, comme, soi-disant, nous sommes des artistes (tu parles !), comme le prétendent certains d’entre nous, il serait indécent de signer un certificat, d’authentifier nos propres travaux ou de comptabiliser le nombre de nos tirages. A partir de ces raisonnements irresponsables, le rayonnement créatif général de la photographie n’a eu aucun mal pour sombrer, avant même bénéficier de l’aide à la destruction de la communication numérique. Ce réseau, proclamé miraculeux par quelques inconscients quelques années en arrière, a quand même participé activement à l’enfoncement du clou pour une crucifixion économique, en bonne et due forme, des auteurs photographes. L’abandon de nos protections légales est ainsi tombé dans un marécage public quotidien. Tout le monde, surtout n’importe qui, s’installe dans cette vaste bourse planétaire où tous les intervenants se focalisent sur l’essentiel : « comment puis-je duper mes interlocuteurs ? ».

A chaque acquisition d’une photographie, le doute s’installe sur l’authenticité physique de l’œuvre, sur la garantie d’une véritable limitation numérique des tirages et la certification effective par son auteur au sens reconnu et légal. L’origine de cette défaillance dans le transfert d’une œuvre vient en grande partie d’un nombre très important de photographes (les vrais comme les faux, les bons comme les mauvais) totalement ignares en termes de connaissance des droits. Les redevances éphémères d’une œuvre ou le statut de son acquisition durable sont tombés dans les oubliettes des valeurs de l’esprit. Il en est de même (à quelques rares exceptions) pour les acquéreurs tout aussi ignorants. Ce que j’ai même pu constater tant chez des collectionneurs réputés que chez des acheteurs publics, ce qui est un comble.

Si l’on ajoute la faiblesse mathématique évidente lorsqu’il s’agit de constater un prix de revient effectif, ne serait ce que pour les coûts techniques de production. Il devient incontestable que le marché et les valorisations d’une œuvre relèvent d’une anarchie totale qui engendre plus de déboires que de satisfactions pour tous les interlocuteurs. Les valeurs monétaires erronées supplantent les partenariats intellectuels, spirituels, attentionnés entre le créateur d’une image et son acquéreur.

Une première anecdote chez un gros diffuseur d’images qui se targue d’un statut de galeriste expert en photographie d’Art. Une photographie réalisée par un chanteur célèbre et vraiment people. L’image n’a rien d’extraordinaire, mais il est largement annoncé qu’elle était prise par notre artiste musical. Le problème est que l’auteur est décédé avant d’avoir pu travailler son œuvre et surtout avant d’en avoir fait un tirage. Peu importe, ne soyons pas mesquins. La photographie d’art de notre chanteur est signée sur la face avant, post mortem, par son ancienne compagne, non-photographe bien entendu, et certifiée par cette dernière. C’est le même diffuseur qui a vendu une grande et belle image, réalisée par un moine franco-tibétain célèbre, sous un numéro 124 (cherchez l’erreur). La même photographie avait fait le tour de nombres de festivals photographiques, dont le plus célèbre. Naturellement, le prix de vente a été très onéreux pour ce qui n’était qu’un simple poster dédicacé.

Dans un festival atypique devenu célèbre, les organisateurs laissent les exposants vendre leurs œuvres (exposées ou non) à leur guise. Pourquoi pas ? Un jeune photographe a posé une table devant son espace d’exposition, où il a accroché des photographies animalières. Il vend ses tirages (30 x 40 selon mes souvenirs) pour 50 euros l’unité. Petit bonus, comme chez mon boulanger avec ses pains, il y avait une photographie gratuite pour trois achetées. Le comble est que ce garçon interdisait, même à la presse, de photographier son exposition pour ne pas se faire voler ses droits. En sus, la fabrication de ses images ne coutait rien puisque le matériel, le papier, l’encre, etc. étaient fournis par son photo club et par sa ville.

Autre écran de fumée, ce salon dans lequel un bon photographe présente de belles images de paysages très décoratives. L’acquisition des images peut se faire à la demande pour le format de votre choix ou dans des formats prédéterminés et déjà imprimés. Surprise, tous les tirages bénéficient d’une double numérotation, non chronologique, avec deux plafonds. Vous choisissez, à votre guise, l’une ou l’autre numérotation. Ne paniquez pas, son avocat lui a certifié que cela était parfaitement légal. Ce n’est pourtant pas vraiment ce que l’on trouve dans les textes et dans les jurisprudences ; mais bon, puisqu’il nous dit que c’est parfait, d’autant que cela a majoré d’un zéro la valeur des images acquises.

C’est devenu une telle anarchie que j’entends dire d’un peu partout que tout cela n’a plus d’importance, le Monde évolue. Les amateurs achèteraient n’importe quoi, alors pourquoi se priver de ce reste de manne dans un marché photographique moribond.

Sans parler de ces milliers d’images dites anciennes (vintage, c’est plus classe) tirées quelques dizaines d’années après la mort de leur auteur et qui se vendent à des prix exorbitants.

Il semble qu’il n’y a plus grand-chose à faire dans ce malstrom artistico-financier décadent.

Sauf, à imaginer que nous pourrions respecter ces passionnés et autres amateurs enthousiastes qui nous font l’honneur de s’intéresser à nos divagations lumineuses !

Thierry Maindrault, 14 juin 2024

 

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