Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
C’est le moment de nous souhaiter tout un tas de choses bénéfiques pour ce que nous appellerons le début d’un nouveau cycle prédéterminé, bissextile de surcroit. C’est surtout le moment de nous rappeler que ce temps, fruit de nos imaginations, et qui devient vraiment trop rapide dans sa course, nous a privé de rapports essentiels pour une vie sociale décente. Cette courte période permet de retrouver des échanges individuels qui sont devenus si rares. Cette première semaine, en principe festive, devient un excellent observatoire pour analyser l’évolution des comportements et les préoccupations intimes de chacun de nous. Pourquoi vous entrainer dans ces considérations banales ? Parce que cette année, depuis quelques jours, nous avons remarqués que tous les vœux reçus étaient portés avec une part, plus ou moins importante, d’incertitudes.
C’est peut-être encore plus vrai lorsque les meilleurs souhaits s’offrent sous la forme d’une photographie. Nombreux sont mes amis et relations — photographes — qui m’envoient leurs sentiments sous la forme d’une image. Maintenant, pour beaucoup, c’est souvent moins fatigant que de prendre la plume. Au passage, la légende photographique suggère qu’ils sont nombreux les photographes talentueux à être rarement hyperactifs (à l’inverse, par exemple, des grands cuisiniers stressés permanents), ce qui explique sûrement le nombre restreint de chefs-d’œuvre photographiques disponibles. Pour ceux qui montent sur leurs ergots, je les renvoie à ma curiosité toujours confrontée aux mêmes photographies iconiques dans toutes les grandes expositions ou les galeries de musée. La photographie peut presque se reproduire techniquement à l’infini. Cela se voit partout. Nous trouvons même des tirages — post mortem — signés au dos par leur auteur qui deviennent pléthores, jusque dans des fondations prestigieuses.
Après ce petit préambule pour nous aiguiser les méninges en cette nouvelle année, revenons à l’analyse de nos cartes de vœux en forme de photographies. Les cuvées (terme que nous partagions avec nos amis vignerons du temps de nos laboratoires argentiques) de ce millésime sont particulièrement bonnes qualitativement pour leur réalisation technique, avec quasiment plus de « foutages de gueules », façon années antérieures. Quel que soit le sujet de chaque œuvre, les traitements techniques reprennent un schéma mieux adapté à chaque contenu d’image. La provocation sulfureuse de l’image massacrée, à coup de logiciels informatiques ou de feux de séchages, semble en perte de vitesse, voire freinée brutalement. Les auteurs, avec ou sans conscience, laissent place au désir d’asseoir leur expression sur une lecture souple, apaisée et compréhensible pour les destinataires. Dans ses obligations techniques, la création retrouverait les bonnes voies — aussi millénaires qu’incontournables — pour se déployer dans un cerveau humain. Sens de lecture, points d’attraits, zones de retour de sens, formes de l’ingestion passive, limites du discours, focalisations des distances, etc. ; tous ces oubliés des deux dernières décennies se réinstallent dans les photographies. Enfin, espérons qu’il ne s’agit pas que d’une légère poussée d’adrénaline photographique, pré-extinction.
Cela ne parait pas le cas, après quelques observations faites sur les destinataires des images. Presque toutes ces cartes que nous avons reçues, aux sujets très variés, de la mer houleuse à la nature morte, offraient de nombreuses sources de réflexion à des degrés différents. L’échange et l’émotion seraient aussi de retour après un long bannissement pendant lequel les prouesses et les détresses personnelles de pseudo-auteurs primaient pour l’intelligentsia médiatique et branchée. La fixation et la restitution personnalisées des errements aléatoires de la lumière semblent reprendre le dessus sur les extravagances médiocres de formes informes, mais médiatiques. Les tendances 2024 laissent apercevoir, dans la très large majorité des œuvres reçues, la présence, visible ou sous-jacente, de l’incertitude. Toutes ces images photographiques affichent un abandon de toutes prévisions et prédictions soi-disant fiables. C’est donc avec incertitude que nous réjouirons du retour de la Photographie à sa place, … sa vraie place dans un grand nombre de ses diverses disciplines.
Bien entendu, tout cela s’entend pour les auteurs authentiques. Il va de soi que les millions et millions de prises de vues par smartphones et injectées « manu militari » dans les centaines de réseaux sociaux sont hors du champ d’analyse de mes constatations.
Les accros des évolutions techniques et esthétiques de la photographie sont de plus en plus nombreux à réinvestir sur les fondamentaux. Le retour de l’argentique et de ses dérivés, l’expérimentation sensuelle des anciennes techniques tombées en désuétude, la réhabilitation des chefs-d’œuvre extraits de quelques tiroirs, la nostalgie des derniers soubresauts de l’excellence photographique à la fin du dernier millénaire, interpellent. Les entourages du photographe, — puits de sciences -, fraichement sortis des écoles, s’interrogent. Les programme des mêmes écoles redonnent plus de place à « comment construire et réaliser une photographie ? » pour remplacer l’actuel « c’est la photographie qu’il vous faut faire ! ».
Dans les incertitudes, le rôle annoncé de la promptographie, cette conception binaire des images, va-t-il s’imposer dans la tête des divers publics et dans la part économique, déjà très atrophiée, des ressources de la Photographie. Cette drogue mortelle, à terme, prendra-t-elle son essor au prétexte fallacieux d’un Art dit contemporain qui ressemble plutôt à une machine à sous pour certains ?
Assez pour aujourd’hui, n’attaquons pas ces perspectives 2024 par une indigestion injustifiable. Rêvons que ces petits signes propagent cette inflexion, souhaitée aussi par de nombreux jeunes passionnés (est-ce un retour des vocations ?) à l’affût d’un devenir plus sincère et moins superficiel. Il est de notre devoir personnel de soutenir et d’encourager cette évolution.
Il est hors de question de cracher sur le progrès et sur les dernières idées, créatif un jour, créatif toujours. Bien au contraire ; mais arrêtons de prendre les publics, surtout ceux d’un faible niveau culturel, pour des gogos susceptibles d’avaler n’importe qu’elle soupe pour soutenir un ego injustifiable ou remplir un tiroir caisse.
Thierry Maindrault – 12 janvier 2024
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