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La photo espagnole–Epilogue par Lola Fabry

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L’histoire rapporte une nature unique pour l’art et la pensée : ils portent ensemble les plus nobles résistances. L’incertitude reste toujours le moment M, le jour J, la seconde S où l’Histoire répertoriera cette noble résistance.

C’est un peu ce qui m’est arrivé avec Le Journal de Photographie. « On comprend que je viens de lui témoigner ma gratitude », je cite un être très cher pour moi, Claude Lanzmann, dans l’avant-propos de son livre « Le lièvre de Patagonie ». Je lui voue un véritable culte au point qu’un soir de dimanche à la terrasse du Marly, je vivais avec des amis. Il était assis à la table adjacente et son visage ne cessait de m’absorber, je savais mais je ne retrouvais plus dans l’émotion un nom qui lui valut… Je pris mon courage à deux mains, son regard amène, ses belles rides… Je lui demandai pardon et le priai de mettre fin à mon supplice en me révélant son nom. Il le fit avec tellement de délicatesse.

Je suis née en Sologne, au milieu des bois et des champs à un kilomètre d’un village qui comptait mille habitants : Langon. C’est là que mon imagination s’est développée pendant 17 ans. Enfant mon plus grand plaisir était l’arrivée du bibliobus dans la cour de l’école, plus tard c’était Baudelaire principalement qui m’accompagnait dans mes chimères champêtres.
La photographie m’a frappée à l’âge de seize ans en 1981, par un jeune homme de l’île de Minorque dans le patio d’une résidence universitaire de Tarragone. Ce garçon m’avait particulièrement troublée la veille ou l’avant veille en le voyant dans une répétition de Caligula dont il incarnait le rôle principal sous la houlette d’un autre jeune metteur en scène.
La veille du départ de notre groupe d’étudiants du Lycée Claude de France de Romorantin Lanthenay (encore merci à Solange Gendre, notre professeur d’espagnol) pour regagner la Sologne, je croise le jeune metteur en scène et nous entrons dans un débat passionné sur Camus, Caligula et cet acteur génial, Juan Andres… Que je vois alors dévaler par les verrières qui illuminent l’escalier de la résidence haute de trois au quatre étages.

Il fait irruption dans le patio et je suis alors l’objet d’un shooting par ce garçon que je croyais comédien… Suis un peu gênée quand même, le jeune metteur en scène rigole, il s’appelle Calixto… Que je retrouve en 2002 à Barcelone au théâtre Romea avec sa « fama » Bieito…

Mon père ajoutait « mon ami » à la fin de ses phrases. Né en 1922, Laval l’expédie à Katowice en Haute Silésie en 1942. Il est pourtant orphelin depuis 1936 et une jeune soeur à charge. Il en revient en 1945. Il a puisé beaucoup dans l’amitié, il était profondément gai et il disait « mon ami » à la fin de ses phrases quand il conversait avec quelqu’un.

Je voudrais parler aussi d’une lumière qui m’est apparue en rencontrant Sandra Balsells, je ne sais plus comment elle est venue mais après 25 ans de métier dans la production cinéma, scénique et arts, j’ai compris pourquoi j’éprouve une telle empathie pour les photographes dont la discrétion me fascine. En cinéma, on se souvient d’un titre, d’un acteur principal et quand même assez souvent d’un metteur en scène. En littérature on associe souvent un titre, une histoire et son auteur. En peinture un tableau est intrinsèque à son peintre, en sculpture aussi… Alors… quoi ? Apprenons tous ensemble à cultiver notre mémoire et à associer l’image au nom de son auteur.

L’essentiel est probablement que vos photographies entrent dans notre inconscient collectif, mon travail avec le Journal de la Photographie me le démontre au quotidien, il m’est arrivée la même chose avec le Fou Chantant, Charles Trenet. Je le remercie aujourd’hui de sa confiance pour s’abandonner à moi et me livrer ses trois derniers concerts à la salle Pleyel en 1999. Quand j’ai commencé à travailler avec lui en 1998 je me suis rendue compte que je savais toutes ses chansons sans jamais les avoir apprises, il n’était pas prisé dans l’enceinte familiale! Aujourd’hui ma mère âgée de 86 ans se découvre une passion pour lui quand la télévision lui permet de glisser que sa fille le connaissait, elle a nourri huit enfants.

Je me suis achetée un cahier et j’ai toujours un stylo avec depuis que je retravaille à l’écrit, pour les moments ex ordinateur. En ce sens je rejoins Claude Lanzmann.
Toutefois dans une poche ou dans la main, j’ai toujours mon smartphone qui fait de moi une « Petite Poucette » la plupart du temps, et en ce sens je me lance à bras ouverts vers Michel Serres et son récit aux Editions Le Pommier.

De mémoire, j’ai oublié le temps, j’ai pleuré, j’ai ri ou je me suis ennuyée aussi en lisant. J’ai vécu « Petite Poucette » comme une adhésion morale, de mouvement, et politique. Une oeuvre que je recommande à tous les indignés, mes hommages à Stéphane Hessel, son ami, il nous a récemment quittés ne le décevons pas dans la relève !

D’ailleurs ? L’art et la pensée sont ils dissociables ?

Pour conclure, un hommage :
Á Robert Cohen / AGIP, qu’il crée en 1935 et cède à Rue des Archives en 1992. Il a quitté l’actualité au printemps 2000. 65 ans de photographie, 57 avec AGIP, depuis son arrivée à Paris dans les années 30 en provenance de Théssalonique où il voit le jour en 1911, on a tout raté même son centième ! Il n’appréciait pas les minutes de silence, il s’est amusé avec ses appareils photos, son labo, son agence et puis juste son appareil… tout au long de sa vie. Ça se voit sur ses clichés et c’est ainsi qu’il me l’a racontée, la photographie, à travers son amusement. En 1996 sur ses propres tirages… il m’a enseigné la lecture de l’image. Ça m’a laissé une trace. Je le couronne aujourd’hui avec un triptyque de Barcelone par son fils Manuel, qui poursuit la tradition, seul héritier de sa passion, je ne voulais pas manquer de leur rendre hommage en la légendaire terre d’Espagne.
Aussi le tirage de Juan Andrés… vous voyez, son nom m’échappe, son tirage est resté sans signature, il date de 1981. S’il l’auteur de cette photographie se reconnaît et veut se manifester auprès de la rédaction, j’en serais ravie !

Et pour finir, mes remerciements à l’agence Rue des Archives pour céder au journal une autorisation in courtesy de la reproduction des photographies de Robert Cohen objet de mon hommage.

Lola Fabry

LIENS :
http://www.gallimard.fr/
http://www.amazon.fr/Le-lievre-Patagonie-Claude-Lanzmann/dp/2070437787
http://livre.fnac.com/a2889992/Claude-Lanzmann-Le-lievre-de-Patagonie
http://www.editions-lepommier.fr/
http://www.amazon.fr/Petite-poucette-Michel-Serres/dp/274650605X
http://livre.fnac.com/a4057394/Michel-Serres-Petite-Poucette
http://www.archives.manuelcohen.com/
http://www.rue-des-archives.com/

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