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La Petite Mort de l’Art Photographique

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Cogitations Mensuelles de Thierry Maindrault.

La pente glissante de la descente aux enfers de la Photographie et de ceux qui la servent devient un toboggan savonneux avec une conduite – directe – pour les limbes. Comme toujours, dans tous les nombreux déboires de la photographie qui se succèdent depuis une vingtaine d’années, les bourreaux, protagonistes, nous vendent des pièges couverts de bonnes intentions. Personne n’évalue les portées et les conséquences de s’engouffrer dans ces chemins qui, dans la réalité, ne servent qu’à presser le citron pour en extraire de la monnaie rapidement et sans effort. Pour les bénéficiaires bien entendu, car de notre côté de spoliés, ces fossoyeurs de génie arrivent même à sortir encore un peu de jus des zestes de nos créations photographiques.

Depuis quatre/cinq ans, j’avais des échos de tests très locaux pour installer de l’« Art » dans nos espaces de vie quotidien. En clair, un zinzin qui fleurit avec l’étiquette « Artothèque » prétend proposer la mise à disposition d’« authentiques » œuvres d’art à tout un chacun pour enjoliver son espace de vie personnel. La démocratisation de la Culture et la mise à disposition de l’Art pour le plus grand nombre.

En résumé, dans cet objectif sublimé, La Joconde (pas une copie, la vraie) est pendue à un piton. Elle trône au-dessus d’un buffet sur lequel repose la photographie sportive du petit dernier, la soupière de tante Agathe et un galet volé sur la plage des vacances. Notre Mona Lisa se pâmant d’admiration devant le canevas, au point de croix, du dernier chien de la famille qui lui fait de l’œil sur le mur d’en face. Ne sourions pas, la Culture et l’Art associés sont une chose des plus sérieuses dans leur fondement. Même si ceux qui essaient de contribuer à leur essor ne se prennent pas du tout, très souvent, au sérieux. Comme de surcroit notre civilisation manque de plus en plus d’humour (le naturel et le spirituel), les derniers créateurs vont prendre le même toboggan que leurs œuvres.

Qu’est-ce que cette Artothèque qui nous est présentée comme la dernière innovation géniale pour le développement artistique de tous les esprits humains, sans oublier personne ? L’idée est généreuse, mais comment cela fonctionne-t-il ? Au départ, dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’un organisme public (très fréquemment une médiathèque ou une bibliothèque, d’où la dénomination du principe). L’établissement public (ou une association tampon) possède ou acquiert des soi-disant œuvres d’art (en réalité, dans le meilleur des cas, que des créations contemporaines) pour les prêter ou les louer.  Ainsi, qui le souhaite peut installer dans son domicile ou dans son office de travail, pour un temps déterminé, l’œuvre de son choix. Avant la série de commentaires et réflexions qui m’assaillent (j’ai reçu la semaine dernière moult détails et sollicitations pour m’impliquer dans ces usines à gaz). Interrogeons-nous sur le premier fondement qui permet à une administration publique qui vit des impôts de tous de venir prendre le peu de fonctionnement économique qui reste à la création ? Comment une organisation publique peut-elle venir ajouter un coup de pouce (est-ce nécessaire) à la paupérisation déjà dramatique de la création, par les réseaux sociaux et autres idées aussi saugrenues ?

Il est patent que la réflexion, l’anticipation, la projection ne sont pas la première préoccupation des masses issues de nos démocraties. Mais, il est des évidences, parmi les très nombreuses dans notre cas, qu’il est impossible de balayer comme si rien n’était, ou ne sera.

La constitution du stock des objets (toiles, sculptures, dessins, performances et photographies pour ce qui nous concerne) provient, très officiellement, de plusieurs sources. Les dons faits à la collectivité (villes, départements, régions, fondations, etc.) par un créateur, en remerciement, à la suite d’une manifestation qui le concernait. En un mot, ce sont les actifs culturels du fonds dit artistique de la collectivité qui chapeaute l’artothèque. Toutefois, la quantité originelle étant jugée très insuffisante au regard des fortes ambitions prévisionnelles des initiateurs, ce sont les créateurs qui sont directement mis à contribution pour simplement offrir leurs images (certainement celles qu’ils ne pourront plus vendre, ensuite). Toute honte ravalée, ces sauveurs culturels de la Nation, sollicitent également les collectionneurs pour qu’ils mettent en dépôt une partie de leurs acquisitions propres afin de pouvoir en faire des prêts. Une bonne réquisition serait plus rapide (et nous rappellerait quelques actions « glorieuses » de l’Histoire).

Vous imaginez que nous sommes arrivés au sommet de l’inacceptable ! Que nenni. Toujours plus ! « Donnez nous les droits d’une œuvre sur un tirage (photo, litho, etc.) l’œuvre sera tiré et encadré par P•••• et mise à la location. ». Au passage, les erreurs de grammaire vous sont offertes par l’organisme demandeur. Non et non, pincez-vous ! Nous ne rêvons pas, faites cadeau de vos fichiers originaux ou négatifs et abandonnez vos droits (c’est pour une bonne œuvre, pour la bonne cause, etc). Eux aussi, ils s’occupent de tout pour vous, pour nous qui ne sommes qu’une bande d’incapables. Le respect des Lois, la protection des Droits, la rémunération de la Création, tous ces brillants technocrates de la culture sont totalement en dehors et non concernés par ces mesquineries  – affreusement – matérialistes.

Puis survient les conditions financières, dont la trivialité semble complètement étrangère à tous ces agents d’organisations publiques. Car, comment peut-on venir « voler » les créateurs, toutes disciplines confondues ? Tous ceux qui tirent la langue, s’épuisent et doivent sacrifier, tout ou partie, de leur création, pour s’assurer une survie quotidienne, depuis le début de ce millénaire. Tous ces travailleurs vraiment exclus de toutes formes d’aides au chômage. Pendant que le nombre de parasites qui vivent grassement à partir de créations (ou de diverses choses déclarées comme telles) est en croissance exponentielle. Maintenant, ce sont les agents de fonctions publiques qui s’invitent sur les restes de la profession. Toutes ces nouvelles activités vont nécessiter des embauches pour administrer la diffusion de notre travail acquis sans compensation. Comme ce système ne génère, une fois de plus, aucune valeur ajoutée économique, ce qui va aller dans la poche des uns sortira immanquablement de la poche des autres (CQFD). Je n’évoque même pas le droit de suite et autres droits d’auteurs totalement bafoués dans les procédures envisagées.

Encore un top inattendu, lorsqu’un admirateur client achète une de nos œuvres, les avantages fiscaux ont été entièrement supprimés, c’était acceptable bien que dévastateur pour les auteurs. Ces petits malins ont créé de petites associations chapeau qui promettent un crédit d’impôt à tous les dons financiers qui leur seront versés pour développer leur stock et son fonctionnement. Le peu de revenu qui restait aux créateurs pour leur compétence va prendre, via le crédit fiscal de 66 %, le chemin de ce nouvel évaporateur de billets de banque.

Si nous envisageons l’aspect artistique des choix et des autres retenues à venir, il est clair que les jurys de sélection seront importants pour décider des options à récupérer, sans bourse déliée. Encore faut-il qu’il reste un jury crédible, lorsque le plus grand mondial confond allègrement une photographie avec un rejet informatique. Le tout dans le contexte de constituer un stock voulu surabondant. Quant aux capacités d’appréciation des personnels administratifs de la culture, nous pouvons rester dubitatifs concernant beaucoup de regards manifestement plus orientés vers le sensationnel (buzz) que vers l’évolution créative de l’humanité. Et puis, l’accès à l’Art pour tous passe par une éducation joviale, progressive et méritée. Une photographie n’est certainement pas un « hamburger », prédigéré, offert dans une pochette surprise. Un bronze sur une étagère ou une photographie dans la cuisine ne peuvent pas être le fruit d’une distribution d’images par des services sociaux culturels. Il existe encore quelques vrais professionnels de la diffusion culturelle (galeries, salons, courtiers, experts, etc.). Les diffusions, les ventes, les prêts, les locations, ils savent faire. Pour ces conseillers, les voilà également avec une concurrence parfaitement déloyale. Plus inquiétant, cette destruction de l’exigence de qualité qui s’impose, car elle reste indispensable à la survie de leur fonds d’activité. Un petit mot sur les futurs auteurs donateurs de leurs œuvres. Ces dernières seront probablement les mêmes que celles englouties quotidiennement par les avides réseaux sociaux.

La culture pour tous peut très bien passer par les musées et une pédagogie attractive. L’argent du contribuable y sera mieux utilisé. Les dons des photographes y seront ainsi mieux appréciés par le plus grand nombre. L’interprétation, le ressenti et l’émotion se partagent dans la liberté. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire com… !

Une interrogation majeure : que font nos organisations professionnelles de la photographie ? Vous savez, celles qui sont passées totalement à travers les réseaux sociaux, celles qui ont avalé la mutualisation inique des droits, celles incapables d’exiger dans les instances propices à l’évolution de tous les utilisateurs des techniques photographiques. Comment des photographes siégeant dans ces organismes, supposés représentatifs, peuvent-ils laisser faire des dons de droits pour des tirages non contrôlés. Juste la Loi existante à faire respecter, serait-ce une mission impossible !

Il n’y a plus que des chaises vides et les pantoufles, même les petits oiseaux de leurs obturateurs sont partis en vacances.

Je ne suis même plus certain qu’il restera quelques fleurs pour l’enterrement de secteurs entiers de la Photographie. Plus question d’amener nos semblables à découvrir, à comprendre, à réfléchir, à transmettre un fil conducteur culturel. L’urgence consiste au nivellement vers le bas des intellects pour surfer financièrement sur la vague des egos de foules de plus en plus ignares, mais en mal de reconnaissance.

Thierry Maindrault. 11 octobre 2024

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