La Nouvelle photographie n’est pas un énième manifeste, mais le festival dédié aux images par le pôle culture de Port-la-Nouvelle, charmante station du littoral audois. Coopté par Sylvie Romieu et Claudio Isgro, l’édition 2025 ne présentera pas un événement collectif mais une expo thématique et historique de Jacques Sierpinski. Rencontre.
Jean-Jacques Ader : Etiez-vous féru d’histoire ou de Napoléon au début de ce projet ?
Jacques Sierpinski : Pas du tout. Je m’intéresse quand même à la géopolitique et la mémoire des lieux historiques depuis longtemps. Il se trouve qu’un jour, me rendant à Paris, je suis arrivé gare d’Austerlitz ; mon premier rendez-vous était avenue de Wagram, le suivant rue de Rivoli, et j’ai réalisé que tous ces noms, qui viennent des sites de batailles napoléoniennes, nous étaient familiers mais restaient méconnus du grand public. Tous ces lieux m’interrogeaient et j’ai décidé d’aller voir à quoi ils pouvaient ressembler.
Je suppose qu’il y en avait qui n’étaient pas facile à retrouver ?
JS : Oui bien sûr, Wagram par exemple – en Autriche à côté de Vienne – dont le véritable nom est Deutsch-Wagram. Une personne à qui je demandais mon chemin m’apprend que l’endroit précis de la bataille est à Markgraf-Neusiede, à dix kilomètres de Wagram. Seulement, à l’époque, quand les maréchaux ont rencontré Napoléon pour signer la victoire, celui-ci a trouvé ce nom trop compliqué pour être retenu, et a choisi celui du village le plus proche.
Les rencontres, donc, devaient être intéressantes aussi
JS : Oui c’est vrai. Par exemple, il y a beaucoup de personnes reconstituant le mythe de Napoléon, ils s’habillent en soldats d’époque et ils font des reconstitutions grandeur nature. La célèbre bataille de La Bérézina est reconstituée tous les ans. À Austerlitz j’ai trouvé un de ces reconstituants qui a fait le tour du monde en draisine en tenue de grognard napoléonien ! Une autre rencontre était celle d’une femme à Markgraf-Neusiede, élue de la ville. Elle travaillait sur les batailles et m’a proposé de me montrer quelque chose inaccessible au public, en descendant un long tunnel dans l’église du village, on tombe sur une cave en voute sans éclairage, remplie de cranes humains ; devant le désastre, Napoléon a fait ramasser tous les corps, autant des leurs que des ennemis, en faisant creuser cette crypte, pour y rassembler et honorer les morts.
Quand vous vous déplaciez pour rejoindre un des sites qu’espériez-vous trouver ?
JS : Rien (sourires). C’est vieux Napoléon, il n’y a plus de traces. Je savais quand même qu’à Austerlitz il y a un grand monument, mais ce n’était pas ça qui m’intéressait. Il y a beaucoup de monuments dans les pays étrangers qui célèbrent Napoléon, mais très peu en France.
Sur ce grand nombre de batailles y a t-il surtout eu des victoires ?
JS : Beaucoup plus de victoires pour Napoléon, oui ; c’est pour ça qu’il a été envoyé à Sainte-Hélène, car il était très populaire et représentait un danger aux yeux de certains.
Tous ces lieux étaient-ils destinés à être des champs de batailles ?
JS : Oui. À l’époque, la guerre était très codifiée, beaucoup plus que maintenant, ou, disons que certaines règles sont plus ou moins respectées. La variable d’ajustement ce sont les civils, alors qu’avant c’était les armées qui se battaient entre elles. Les lieux d’affrontements étaient choisis loin des populations et des villages, plutôt en plaine, par les belligérants.
Comment avez-vous déterminé précisément le cadre à photographier ?
JS : C’est le site de la bataille ; c’est un périmètre, un paysage.
Et qu’y a t-il à voir dans ces images ?
JS : Rien. C’est très banal. Il faut les confronter aux noms je pense. Mais c’est peut-être l’essence de la photographie, c’est choisir un cadre qui ne m’évoquait pas forcément la bataille, mais qui me donnait le sentiment de résonner avec le nom de la bataille. C’était plus ou moins facile, suivant les endroits, et j’ai parfois été attiré par un regard décalé et ironique, un peu grinçant par rapport à l’histoire. Tous ces lieux de mort ont été dépossédés de cette mémoire. Je tiens aussi au côté didactique du genre, c’est intéressant que les gens arrivent à resituer ces lieux dans un contexte historique et cartographié, tout ça fait partie de l’histoire de l’Europe après tout.
Bernard Plossu vous a écrit un texte, c’était une demande de votre part ?
JS : Tout à fait. Bernard a été un des premiers à voir ce travail, il y a une dizaine d’années. C’était aux Nuits photographiques de Pierrevert ; il y a montré beaucoup d’intérêt et c’est naturellement que je lui ai proposé d’écrire quelques lignes dessus.
Combien de lieux de guerres seront montrés à l’expo ?
JS : Il y aura une quarantaine de tirages qui représentent une dizaine de batailles. Une carte géante sera accrochée pour l’occasion, avec tous les lieux spécifiques pour que les visiteurs puissent avoir des repères géographiques. Sous chaque image est précisé le lieu du conflit, sa date et le nombre de victimes.
Texte et interview par Jean-Jacques Ader
« Batailles » exposition de Jacques Sierpinski à l’espace Roger Broncy de Port-la-Nouvelle (11) du 7 Mars au 26 Avril 2025, entrée libre.
Infos : https://portlanouvelle.fr/festival-la-nouvelle-photographie/