Bonni Benrubi est morte. Elle a perdu la bataille contre son cancer commencé il y a trois ans. Nous reviendrons la semaine prochaine sur cette galerie étonnante en hommage, nous republions la page et l’entretien qu’elle avait accordé il y a quelques mois à Stéphanie de Rougé.
Quand j’arrive à la galerie, je me régale rapidement de l’exposition du moment : les longues expositions photographiées à la chambre de Matthew Pillsbury.
Plus loin, au détour d’une salle, je tombe en arrêt devant un tirage géant en couleur d’une image si texturée qu’elle en presque illisible. L’image brouillée me rappelle vaguement le Parc National de Yellowstone. Je regarde autour de la pièce, me rapproche de View of Landscape Outside Florence in Room with Bookcase d’Abelardo Morell que je n’avais jamais vu en vrai. Rien n’y fait, je reviens vers ce grand tirage coloré. Mon cerveau tourne dans le vide. Une double exposition ? « Bien sur que non – me répond Bonni – ici nous n’autorisons aucune manipulation, aucune création en dehors de la tête. Cette image fait partie d’une des prises de vues de la célèbre série en Camera Obscura d’Abelardo Morell ».
En deux mots, Abelardo se sert de la pièce dans laquelle il se trouve comme d’un boitier d’appareil photo. Il couvre les fenêtres et ne laisse entrer qu’un petit faisceau de lumière permettant ainsi une projection inversée mais exacte du paysage extérieur. Il prend alors une photo de cette projection. Dans l’image de Yellow Stone, il s’est construit une tente et a reproduit le même procédé. La grande différence est que l’image extérieure est du coup projetée sur un sol texturé – là des cailloux – et non sur un mur de chambre d’hôtel.
Envoutant.
Bonni me parle longtemps de celui qu’elle appelle Abe et qu’elle représente depuis de nombreuses années. Dans ses mots je sens que sa découverte et relation avec l’artiste sont des moments fort de sa vie de galeriste. Son récit est touchant, drôle et simple.
Bonni et moi tirons le temps au maximum – elle dit qu’elle n’a pas envie de retourner travailler, ca tombe bien, je n’ai pas du tout envie de rentrer chez moi.
Merci infiniment Bonni.
De la découverte de la photo à l’ouverture de sa galerie…
Bonni souligne qu’à 16 ans alors qu’elle était au lycée, elle savait déjà qu’elle voulait être marchande d’art. Elle lisait à l’époque un livre des frère Duveen (marchands d’art anglais du 19ème siècle) et dit avoir été fascinée par l’idée qu’on puisse s’approprier, acheter et vendre l’histoire à travers l’art.
Elle a suivi des études d’art à l’université de Boston et notamment sous la direction de son renommé directeur et professeur d’histoire de l’art: Honoree Carl Chiarenza.
Sa première inspiration a été Robert Franck et plus particulièrement Rodeo, Detroit. Elle dit que quand elle a vu l’image elle a dit “ou est le rodeo?” et que tout est parti de là.
Son diplôme en poche. Elle trouve un poste à Blum-Helman gallery, et Irving Blum devient son mentor. A l’époque, il représente Lichtenstein, Rauschenberg, Warhol… Elle dit avoir tout appris de lui.
En 1977 elle est engagée à la Wolf Galery où elle dirige Presque complètement la gallerie surtout pendant les 2 ans où Daniel Wof parcourt le pays pour constituer pour John Walsh – directeur du Getty Museum – une spectaculaire collection de photographies.
En 1987, la Wolf Galery ferme et Bonni décide qu’elle est assez solide pour se lancer seule. Elle commence dans les bureaux de son mari, elle précise qu’elle ne part pas de rien mais qu’elle n’a aucun fond pour lancer son affaire.
A ce moment là, elle est déjà reconnue comme une des experts de Walker Evans.
Elle choisit de représenter Andreas Feininger, Jed Devine, Regina Deluise, Tod Papageorge, Garry winogrand et Eliot Porter entre autres.
Bonni benrubi Galery est née.
Son meilleur souvenir de galeriste…
Elle raconte que c’est un souvenir récent. Pour des raisons de santé, et pour la première fois depuis seize ans elle n’a pas pu se rendre à Paris Photo en novembre 2011. Une semaine plus tard, quelques-uns de ses plus fidèles clients sont venus passer quelques jours à New York en famille, entre autre pour lui rendre visite.
Son pire souvenir de galeriste…
Bonni préfère ne garder que les bons souvenirs de sa vie de galeriste.
Sa première photo achetée à titre personnel ou une photo qui a une importance particulière pour elle…
3 girls showing scoliosis of the spine from working at such a young age – from the national child labor committee assignment par Lewis Hine
Times square in Hotel Room par Abelardo Morell
Sur le mur de sa chambre…
Rodeo, Detroit par Robert Frank
Wall Street par Paul Strand
The Last Stich par Dorothea Lange
Queen’s charlotte Ball par Henry Cartier Bresson
Bowing for the collection par Louis Faurer
Et un Giacomelli en mouvement aussi.
Si elle était un(e) photographe connu(e)…
Abelardo Morell pour son incroyable talent et sa consistance en tant qu’artiste ces vingt dernières années.