Le musée de l’Elysée, situé à Lausanne (Suisse), a 30 ans.
Fondé en 1985 par Charles-Henri Favrod, cette institution vaudoise consacrée à la photographie est abritée dans une maison de maître du XVIIIème siècle où elle déploie et met en valeur sa collection comptant près de 45 000 tirages anciens, modernes et contemporains allant du daguerréotype au tirage numérique.
En cette année anniversaire, la Ville de Lausanne et l’Etat de Vaud dévoilent d’ailleurs leur ambition de regrouper, à l’horizon 2020, trois de leurs institutions culturelles emblématiques sur un seul et même site : le Musée cantonal des Beaux-Arts, le Musée de design et d’arts appliqués contemporains et le Musée de l’Elysée seront installés à faible distance de la gare, sur une friche ferroviaire. C’est l’agence portugaise Aires Mateus qui vient d’être choisie (en octobre 2015) pour édifier ce bâtiment unique, pôle muséal d’une ampleur inédite en Suisse, visant à asseoir Lausanne comme une ville qui mise sur la culture.
Dans un mouvement de retour inédit sur son passé, le Musée de l’Elysée présente pour la première fois, à l’occasion de ses 30 ans, une exposition entièrement dédiée à sa collection iconographique, créée par le pasteur Vionnet (1830-1914). La sélection, qui nous est présentée sur les trois niveaux que compte le musée, comprend plus de 500 pièces puisées dans ce fonds de plusieurs centaines de milliers de phototypes (négatifs, tirages, planches-contacts, albums) couvrant l’histoire du médium depuis ses débuts jusque dans les années 1980.
Le pasteur Paul Vionnet a très tôt goûté à la photographie ; c’est dès 1842, alors âgé de 12 ans, qu’il fait ses premiers essais ; apprenant ensuite la technique auprès d’Adrien Constant Delessert vers 1845. Il documente précisément et régulièrement les évolutions du paysage urbain qu’il habite (rénovation de la cathédrale de Lausanne par Viollet-le Duc, par exemple) mais aussi ses excursions dans les Alpes, sur des papiers salés, des négatifs sur verre au collodion, des tirages albuminés, des aristotypes, des cyanotypes. Il va également accumuler toutes sortes de documents iconographiques sur son canton : photos, dessins, gravures, tableaux, mais aussi médaillons, plans, objets militaires. Un « ratissage » large, qui interpelle notre époque où le numérique abolit les distinctions entre original et copie. En 1872, sa pratique de dilettante se concrétise en une première et unique publication : « Les monuments préhistoriques de la Suisse occidentale et de la Savoie », un inventaire des blocs erratiques préhistoriques des environs, édité à compte d’auteur.
En 1896, au pied de la cathédrale, ouvre le minuscule « Musée historiographique», sorte de cabinet d’étude personnel encombré d’archives, accessible sur rendez-vous, dirigé par son créateur, qui y combine ses deux passions : la photographie et l’histoire régionale.
Pour Vionnet, la photographie est d’abord le moyen documentaire de fixer à jamais sites, monuments, portraits ou images anciennes pour la postérité. Il ne s’agit pas, pour lui, de création artistique, ni d’un nouveau moyen de communication. Posture que l’on retrouve toujours, une centaine d’années plus tard, dans la section de l’exposition (au troisième étage) consacrée aux inventaires du patrimoine : fontaines, objets d’art, enseignes, qui s’alignent sagement au fil de tirages à but purement conservatoire.
Cette ambition d’inventaire n’est pas sans évoquer la démarche initiée dans les années 1970 par des plasticiens comme le couple Bernd et Hilla Becher qui vont photographier, durant 40 ans, les châteaux d’eau, les gazomètres, les maisons de leur région d’Allemagne, avec, cependant, chez eux, un but artistique assumé.
En fait, le titre de l’exposition demanderait à être renversé : plutôt que de « mémoire des images », ce sont bien les « images de la mémoire » vaudoise qui sont données à voir dans une accumulation qui surprend nos yeux habitués à plus de parcimonie et de rareté dans une manifestation dédiée à la photographie.
Nous suivons l’urbanisation de Lausanne au cours du XIXème siècle, avec la construction des ponts enjambant le relief de la rive lémanique, les opérations d’aménagement de quartiers entiers, la construction de bâtiments d’exception, publics ou privés, les fêtes folkloriques cantonales et leurs cortèges de costumes. Une dizaine de thèmes constitutifs de la collection sont présentés dans les combles tandis que le sous-sol réunit les grands noms de la photographie locale dont les œuvres enrichissent la collection iconographique à partir des années 1960 dans le cadre d’une politique de valorisation de la photographie : la dynastie De Jongh et ses magnifiques portraits ; Eugène Würgler, mais aussi Emile Gos ou André Schmid. Des tirages de Rodolphe Schlemmer, James Perret ou Max Maïer quittent déjà le champ absolu du document pour devenir des images clairement pictorialistes.
Dans la profusion et la qualité inégale des tirages sortis des archives à Lausanne, c’est donc toute l’ambivalence de ce médium qui ressort ; la séparation entre photographie documentaire et photographie esthétisante (plastique, pourrait-on dire) n’est pas aisée.
Lors de cette exposition, ces deux formes si dissemblables du musée de photographie se retrouvent réunies. En rappelant tout ce que la jeune institution doit à son ancêtre, elle témoigne de l’extrême diversité de ce que l’idée du musée de photographie a pu signifier depuis le XIXème siècle – et de ce qu’elle pourrait recouvrir demain.
L’exposition est une coproduction avec la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne dans le cadre d’un projet de valorisation du fonds et d’une réflexion sur son partage entre les deux institutions afin d’en améliorer la conservation et l’accès.
Commissariat : Anne Lacoste assistée par Christelle Michel, Pascale Pahud et Maelle Tappy, avec la collaboration de Silvio Corsini, conservateur de la Réserve précieuse de la Bibliothèque cantonale et universitaire et Olivier Lugon, professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne.
EXPOSITION
La mémoire des images : autour de la collection iconographique vaudoise
Du 18 septembre 2015 au 03 janvier 2016
Musée de l’Élysée
Lausanne
Suisse
http://www.elysee.ch