L’exposition rétrospective à la Maison à Nevers réuni 142 clichés. Les archives de la MAP ont été revisitées afin d’actualiser le regard sur l’histoire de l’atelier. Elle porte sur les coulisses de la photographie, les à-côtés de la mise en scène, les artifices, et l’arsenal technique nécessaire à la réalisation de ces images devenues iconiques.
Il y a l’homme, avec son parcours singulier et son patronyme qui a fait la réputation d’un atelier de portraits, mais il y a aussi la collaboratrice, l’associée bientôt, talentueuse elle aussi. Parler du Studio Lévin, c’est avant tout raconter un duo, décrire une «photographie à quatre mains» tant il est difficile de distinguer le travail de Sam Lévin de celui de Lucienne Chevert, dans une production de plus de 250 000 prises de vues réalisées pendant presque cinquante ans d’une carrière presque commune. L’histoire du studio Lévin est faite de périodes, de ruptures avec le passé et de changements de styles. Tout n’est que renouvellement et évolution dans les entreprises conjointement menées par les deux photographes de 1934 à 1983. Une longévité qui s’explique par une aptitude au changement et par une incroyable capacité à naviguer dans les eaux changeantes d’une société en mutation : la «manière Lévin» reflète les modes et les mœurs, incarne les goûts et les imaginaires d’époques aussi différentes que l’entre-deux-guerres ou les sixties.
L’aventure Lévin débute en 1934 à Paris dans un appartement de la rue Saint-Georges. C’est dans son domicile où le salon a été transformé en atelier de prise de vues que Sam Lévin reçoit ses modèles qu’il a d’abord rencontrés sur les tournages de films. Très vite, il est rejoint par Lucienne Chevert. En 1937, le Studio Lévin déménage rue du Faubourg-Saint-Honoré. Alors que Sam Lévin, fiché par la Sûreté nationale comme étranger et juif, s’est réfugié en zone sud, en 1942, afin d’éviter la spoliation de l’affaire parisienne, Lucienne Chevert reprend le studio de la rue du Faubourg-Saint-Honoré à son nom. Jusqu’à la fin de la guerre, elle va signer les photographies de plateau d’une dizaine de films comme Sortilèges de Christian-Jaque ou L’homme de Londres de Decoin.
Le portrait du Studio Lévin de la fin des années 1930 repose avant tout sur une technique, un jeu d’éclairage sophistiqué issu des plateaux de cinéma où débutent puis opèrent régulièrement Sam Lévin et Lucienne Chevert. L’esthétique de leurs photographies présente alors de nombreuses similitudes avec les films de l’époque : un accord subtil d’ombres et de lumière ; des visages sublimés par des nuances douces de noir et blanc; des corps modelés à l’aide d’ambiances diffuses, de touches lumineuses, de fonds sombres ou rayonnants. D’emblée, le studio se caractérise par sa clientèle presque exclusivement faite de personnages connus ou en passe de le devenir : peu d’anonymes, quelques mannequins mais surtout des acteurs et des comédiennes. Bientôt se sera toute une génération de chanteurs qui se présentera devant l’objectif du fameux studio. Car le cercle qui entoure Sam Lévin et Lucienne Chevert est avant tout celui du spectacle : le cinéma et ses stars puis la chanson et ses vedettes qui, dans les années 1960, seront, elles aussi, propulsées au rang des personnalités les plus en vues.
Á la Libération, l’atelier s’agrandit adjoignant au studio une photothèque et un laboratoire. Un salon est aménagé pour permettre l’accueil des acteurs, chanteurs et modèles qui viennent confier leur image à ce qui est devenu l’un des plus célèbres studios de la capitale. En 1948, il signe un contrat avec Unifrance et devient leur principal fournisseur d’images. Unifrance-Film a pour objet la promotion du cinéma français à l’étranger tant films que professionnels, acteurs ou réalisateurs. Pendant vingt ans, tous ceux qui comptent vont défiler sous les éclairages du 3 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Sam Lévin travaillera aussi de manière étroite avec les disques Barclay, fournissant des photographies pour illustrer les pochettes de disque. S’associant avec des financiers, il ouvre un gigantesque studio à Boulogne-Billancourt en 1967, les Studios internationaux de photographies. Sam Lévin et Lucienne Chevert sont très tôt reconnus pour leur talent, mais il n’est pas pour autant question de faire de l’art. L’image à produire est d’abord une affaire de marché et leur savoir-faire s’adapte nécessairement à une commande et à des usages. Il y a la photographie de plateau, la photographie de mode, de publicité et surtout, il y a le portrait.
C’est à travers les yeux et les inventions de ces deux photographes que nous regardons, aujourd’hui encore, le visage de Martine Carol, de Gina Lollobrigida, de Claude François et notamment celui de Brigitte Bardot que Sam Lévin suit pendant toute sa carrière. C’est dans leur studio que se façonne l’image de la célébrité et que s’élabore dans un univers fictif baigné de lumières artificielles le portrait qui ira illustrer les pages de magazines ou sera vendu sous forme de cartes postales et de posters. Le portrait est un article de promotion, il joue les intermédiaires entre la figure illustre et son audience, entre l’idole et ses groupies.
Matthieu Rivallin, commissaire de l’exposition 2022
Studio Lévin – Lucienne Chevert et Sam Lévin, histoire d’un atelier
Du 18 mars au 11 mai 2022
La Maison/Nevers
Scène conventionnée d’intérêt national Art en Territoire
2 bd Pierre de Coubertin, Nevers (58).
https://maisonculture.fr/