Bavaroise de naissance, Eva Mueller est photographe de mode. Elle fait des études de graphisme pour travailler ensuite comme directrice artistique à Munich, avant de partir pour New York et de se réorienter dans la photographie au sein des univers de la mode, de la beauté et de la musique. Douée d’une affinité pour le minimalisme le plus dépouillé, elle démontre une fascination pour le corps humain qui peut aboutir à des images étonnamment joueuses, complexes et incisives. L’identité visuelle d’Eva Mueller, à la fois créatrice et observatrice, se reflète dans des visuels désormais emblématiques, à la fois intemporels et bien ancrés dans l’instant présent.
À quelle époque vous êtes-vous intéressée à l’androgynie ?
Dès mon enfance. Je pense que c’est dû au fait que mes parents ne m’ont jamais poussée vers un genre ou un autre. Ils m’ont simplement laissée tranquille. J’étais un garçon manqué et j’aimais jouer par terre en jean crasseux avec des voitures. Ça ne leur posait aucun problème. J’ai grandi sans être emprisonnée dans le concept de ce qu’une fille était censée être ou faire. Pour moi, c’étaient la société et la culture qui généraient ce qui faisait d’un être un homme ou une femme, et les hormones n’avaient aucun rôle à jouer dans les différences de comportement entre les deux sexes. Franchement, je pense que, parfois, l’ignorance est une forme de bonheur. Toujours est-il que je n’ai jamais rien entrepris qui me donne l’impression d’être enfermée dans un rôle pré-défini.
Vos images semblent honnêtes, authentiques. Comment vous y prenez-vous pour que vos sujets se sentent à l’aise devant l’objectif – et devant vous ?
Je m’efforce de ne jamais juger les gens, je les laisse être ce qu’ils sont. Je crois qu’ils se sentent donc en sécurité, et qu’ils peuvent s’exprimer comme ils l’entendent. Je ne pousse personne à faire quoi que ce soit qui lui semble gênant. En même temps, je fais comprendre à mes sujets qu’ils peuvent se lâcher et se laisser aller à tous les extrêmes s’ils le souhaitent. Certains le font – et j’adore ça !
Comment avez-vous trouvé vos sujets pour ce projet ?
La série a commencé en 2013 avec des drag-queens qui travaillaient chez Lucky Chengs. Le restaurant était géré par quelqu’un de ma connaissance et j’ai eu un coup de cœur immédiat pour les Lucky Girls – c’est comme ça que j’avais baptisé la série. Plus tard, le titre a évolué pour devenir GenderFuck. Je me suis mis à photographier des amis et des amis d’amis qui étaient déjà trans ou en transition, dans un sens ou dans l’autre, ou encore des gens qui jouaient tout simplement avec leur identité, sans se conformer à la binarité.
Quel était votre objectif ? Pourquoi ce projet ? Est-ce qu’il est en cours ou a-t-il terminé sa course ?
La série se poursuit. Je me repose un peu, mais je continuerai à photographier des GenderFuckers. Je voudrais en faire un beau livre, et aussi faire voyager l’exposition. Il est fort possible que j’aie de nouveau l’occasion d’exposer, avec de nouvelles œuvres, en septembre, à New York. Ça devrait même durer plus de trois jours cette fois-ci !
Qu’avez-vous ressenti, en sachant que vous alliez pouvoir exposer vos travaux au Leslie Lohman Museum, le premier musée LGBT du monde ?
C’était incroyable. Quand Leslie-Lohman a validé la proposition que j’avais soumise en 2015, j’ai été ravie. J’avais toujours voulu exposer là-bas. Je dois d’ailleurs remercier Hunter O’Hanian, qui était directeur du musée à ce moment-là. Je l’avais photographié pour ma série de portraits de tatoués, et en passant, il m’a simplement recommandé d’envoyer une proposition. Mon rêve est devenu réalité. Cette galerie devenue musée est un endroit extraordinaire, avec une collection exceptionnelle. Je suis très heureuse que le musée ait conservé deux grands tirages de mon exposition.
Propos recueillis par Hallie Neely
Hallie Neely est auteure et se spécialise dans la photographie. Elle vit à New York.