La décision de Kodak de fabriquer à nouveau le film Ektachrome, peut-être même à terme le Kodachrome, pourrait redonner un élan à la bonne vieille diapositive. Ainsi qu’à son cérémonial de chargeur, projecteur, écran souple, table lumineuse ou compte-fils, désormais effacé par l’image numérique.
Le Musée de l’Elysée, à Lausanne, a l’heureuse idée de réactiver l’histoire de la diapositive. L’institution suisse étend son propos à la photographie projetée, telle qu’elle s’est développée dans la seconde moitié du 19e siècle avant de se démocratiser dans les années 1960 et 1970. Le musée est ainsi plongé dans une obscurité propice aux séances de projections, dont on avait oublié les bruits mécaniques, la chaleur dégagée par les ampoules, la danse de la poussière devant les objectifs, surtout l’inimitable luminosité du Kodachrome, de l’Ekta, des Fuji, des Agfa. Si la photographie est vraiment l’écriture de la lumière, la voilà en acte, rédigeant toutes sortes d’histoires devant nos yeux éblouis.
L’exposition réévalue le statut dans l’histoire de la photo de la diapositive, cette image transparente enchâssée dans un cadre de carton ou de plastique. Ce récit s’est construit sur le tirage durable, beaucoup moins sur l’acte éphémère de la projection. Surtout que l’usage du film inversible couleur est associé à une pratique populaire, amateur, datée. Un « art moyen », pour reprendre l’expression de Bourdieu, associé à des séances familiales, des conférences publiques, des cours dispensés en auditoire. Avec parfois l’ennui dispensé par les images répétitives, les commentaires érudits, les souvenirs assommants de l’oncle voyageur…
Divisée en quatre sections (l’image de la lumière, le dispositif, la séquence, la séance), l’exposition rappelle aussi l’utilisation inventive de la diapositive par les artistes conceptuels, dès les années 1960. Dan Graham, Robert Smithson, Allan Sekula, Nan Goldin ou James Coleman ont tiré profit des possibilités narratives des projections pour questionner leur époque, leur intimité, la photographie elle-même. Les travaux de professionnels comme Alfred Stieglitz ou Helen Lewitt sont évoqués, comme ceux de Le Corbusier ou Charles Eames. Avec au final un constat : dans l’essor de la diapositive se sont inventées de nouvelles formes de communication, anticipation de l’actuel flot des images et données.
Dommage, toutefois, que l’exposition ne mentionne pas l’usage fondamental de la diapositive dans les médias de masse, à commencer par la presse. La chronique de la seconde moitié du XXe siècle n’est-elle pas teintée par les couleurs saturées du Kodachrome ? Le Musée de l’Elysée oublie également son propre « genius loci » : Lausanne a longtemps accueilli l’un des principaux laboratoires de Kodachrome au monde, réputé pour la qualité de ses développements et l’un des derniers à rester en activité, contre vents et marées numériques.
Soyons juste : le musée sait par ailleurs respecter son génie du lieu. Il vient d’annoncer que les archives de Sabine Weiss rejoignent ses collections. Etablie à Paris depuis 1946, la grande photographe humaniste est née en 1924 en Suisse romande, à Saint-Gingolph. Le fonds est composé de 200 000 négatifs, 7 000 planches-contact, 8 000 tirages anciens ou récents, une quinzaine d’expositions complètes, une documentation fournie, sans oublier 2 000 diapositives…
Luc Debraine
Luc Debraine est journaliste culture et société au magazine suisse L’Hebdo, à Lausanne.
Diapositive, histoire de la photographie projetée
Du 1er juin au 24 septembre 2017
Musée de l’Elysée
18, avenue de l’Elysée
1014 Lausanne
Suisse