Ochlik,
Jamais je n’ai eu autant de difficulté à écrire. Mes nombreux dictionnaires n’ont pu m’aider à trouver les bons mots. Je t’entends déjà dire « Shè Blachere »
Alors, j’ai fait une liste, une liste non exhaustive de ce que j’aimais chez toi.
Mon ange, Amour :
J’aimais quand tu me faisais des listes de cadeaux improbables, et qu’il y avait dessus une harley-Davison, un loft, un leica en Titane à 22000 euros, et que tu me disais « hé oh tu bosses chez Match nan ? »
J’aimais quand tu m’appelais Blachere, voire ma blacherounette, quand tu avais quelque chose à me demander.
J’aimais quand tu voulais qu’on trouve un pays rien qu’à nous dans lequel nous pourrions retourner chaque année pour faire des reportages ensemble
J’aimais quand tu me parlais d’arts, de peintures, de littérature et que je ne comprenais rien. Tu m’as tellement appris de choses…
J’aimais sur le terrain te voir discret, dans l’ombre, te faire oublier pour mieux photographier
J’aimais te voir le matin regarder tous les sites de photos et d’entendre râler « regarde ce qu’ils font, je suis nul Blachere»
J’aimais quand tu m’enregistrais « L’Amour est dans le pré », et qu’on le regardait ensemble blotti l’un contre l’autre comme deux ados sous le plaid. Petit chat entre nous. Tu me répétais : « t’as pas intérêt à le dire aux autres »
J’aimais te voir préparer mon café le matin, et qu’enfin au bout de 8 mois, il soit bon !
J’aimais quand tu me disais que tu voulais deux enfants. Un garçon et une fille.
J’aimais encore plus quand tu me harcelais devant nos potes pour les avoir ces gosses. « Regarde Thib, Mat, Fred, elles sont cools leurs meufs, elles sont enceintes elles ! »
J’aimais quand tu voulais partir en Libye, puis au Nigéria, puis en Birmanie, puis en Syrie et finalement à Tulles en moins de cinq minutes.
J’aimais quand tu me disais « Blachère tu m’infantilise. Je deviens comme toi. »
J’aimais t’entendre dire « mouai, t’es pas objective » quand je te disais que tu étais le meilleur des photographes.
J’aimais te voir rougir, ému, quand je t’avouais que j’étais folle de toi
J’aimais notre routine, notre quotidien, nos soirées à la maison à mater Dexter jusqu’à tard dans la nuit. Il me suffisait d’être à tes côtés pour garder le sourire
J’aimais le soir quand tu enlevais tes lentilles de contact et que tu mettais tes lunettes de vue has-been avec des verres épais. Je t’appelais Harry Potter. Tu me détestais, tu m’appelais Emilie.
J’aimais quand tu me disais que je ne te manquais pas du tout
J’aimais quand tu étais jaloux d’Eric, d’Ivan, de Pierre, de tous et de Marcelle, mon chat.
J’aimais quand tu kidnappais Marcelle alors que j’étais en reportage pour qu’elle s’habitue à ton petit chat, et qu’on puisse vivre ensemble avec notre famille recomposée
J’aimais quand tu avais peur de rencontrer ma mère
J’aimais quand tu m’emmenais à Honfleur, et qu’on roulait à fond sur l’autoroute et qu’on s’arrêtait sur une aire manger un mars et boire un coca
J’aimais quand tu me disais « suis moche, Blachere l’amour te rend vraiment aveugle »
J’aimais quand tu as mis ta brosse à dent chez moi au bout de deux jours, je l’ai prise en photo pour la montrer aux copines. J’étais pas loin du statut facebook
J’aimais quand en moto, aux feux rouges, tu me caressais la jambe.
J’aimais quand tu me serrais fort le matin, puis le soir, comme si nous étions séparés des mois
J’aimais te voir fumer à la fenêtre, tu étais si sexy. Mais encore une fois je n’étais pas très objective.
J’aimais t’entendre dire à Julien, ton meilleur ami, ton frère, « attention Maman écureuil arrive » quand je me réveillais.
J’aimais d’ailleurs quand au début tu disais « Julien c’est ma femme, toi tu es ma maîtresse ». Au bout de deux mois, c’était l’inverse. Shè Julien, je t’ai fourré
J’aimais tes sourires timides, des éclats de rire gras, ta délicatesse presque féminine, et ta tendresse juvenile.
J’aimais quand tu me demandais en mariage toutes les 5 minutes par texto avec des émoticônes, on s’était promis de passer le cap à Las Vegas.
J’aimais quand tu me laissais des mots d’amour dans mes carnets de notes ou chez moi lorsque tu venais nourrir Marcelle.
J’aimais ton courage, ta détermination, ta rigueur. Je suis si fière de toi mon ange. J’admire le photoreporter autant que l’homme. Tu es devenu si grand.
J’aimais quand tu me disais « Blachere, c’est pas du temps qu’on a tous les deux, nous on a toute une vie »
J’aimais d’entendre me dire que tout allait s’arranger, que tout irait bien quand j’étais déprimée. Si seulement aujourd’hui je pouvais te l’entendre dire….
J’ai tant aîmé vendredi 10 février, la dernière fois où l’on s’est vu où tu m’as dit, au petit matin, que je te rendais heureux.
Je pourrai continuer cette liste, j’aurais tant aimé passer ma vie à y ajouter des choses. En fait Ochlik, je t’aimais tout court. J’espère que tu sais là haut que j’étais plus qu’heureuse à tes côtés. J’étais épanouie. Avec toi, c’était beau, c’était doux, d’une intensité inattendue. C’était une parenthèse enchantée. Un bonheur si précieux que l’on protégeait de notre métier, parfois envahissant. Notre travail, notre passion, notre second amour.
On s’était préparé à tout, mais pas au pire. Ochlik, je ne sais pas encore comment je vais pouvoir vivre sans toi. A Rome, tu me disais « être amoureux, c’est être faible » C’est faux, aujourd’hui je me sens forte. Tu m’as offert à Noël un livre de feuilles blanches pour « écrire notre vie et le faire lire à nos gosses ». Je te promets de raconter cette vie auquelle nous avons rêvé tant de fois. Cette vie que je vais vivre pour deux désormais
Je ne sais pas si je te manque Ochlik. A moi tu me manques déjà Follement…
Mais je sais que tu es là. En moi. Près de moi. Près de nous. Aujourd’hui notre surnom Blachlik prend tout son sens.
Et un jour Je te rejoindrai Amour Mais pas tout de suite. Tu détesterais me voir abandonner, me laisser crever. Alors je sèche mes larmes, et je passe en boucle ton films préféré « chantons sous la pluie », celui qui rend heureux : ET,
Je chante sous la pluie, je chante juste sous la pluie. Quelle sensation fabuleuse. Je suis heureuse de nouveau. Je me fiche bien des nuages. Si sombres là haut. Le soleil brille en moi mon ange. Et je suis prête pour l’amour. Pour l’amour…
Je suis sûre que tu aurais préféré nous voir boire des bières et fumer des clopes pour te rendre hommage. T’inquiète, on a prévu le coup, et puis la nuit n’est pas finie.
Mon ange, embrasse Lucas de ma part. Prends soin de toi, prends soin de nous.
Discours d’Emilie Blachère prononcé le 7 mars 2012 au théâtre Claude Lévi-Strauss, musée du quai Branly à Paris pour l’hommage à Rémi Ochlick présenté par Jean-François Leroy directeur de Visa pour l’image, en présence de Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication et Olivier Royan, directeur de la rédaction de Paris Match.