Pour L’Œil de la Photographie, les livres photographiques comptent autant qu’une exposition ou un portfolio. Ils font l’histoire et l’actualité du médium.
Notre correspondante Zoé Isle de Beauchaine porte un regard sur les dernières parutions.
Certains investissent des années dans une psychanalyse. La photographe belge Barbara Iweins a choisi une thérapie d’un autre genre. Après une séparation douloureuse et un énième déménagement, celle qui se définit comme une « collectionneuse névrosée » s’est lancée dans le projet fou de photographier un à un chacun des objets de sa maison : « de la chaussette trouée de ma fille aux Lego de mon fils en passant par mon vibromasseur, mes anxiolytiques, tout, absolument tout. » Quatre ans et 12 795 photographies plus tard, elle publie Katalog aux éditions Delpire.
Pour ce travail d’introspection, Barbara Iweins a suivi un protocole quasi scientifique, photographiant chaque objet pièce par pièce et devant un fond gris. Elle reprend la démarche sérielle et typologique bien connue de l’histoire de la photographie, mais en fait ici un usage autobiographique. Une suite effrénée de carrés multicolores défile sous nos yeux, ralentissant parfois le tempo pour consacrer une page à un objet en particulier — un trench rouge, un extincteur, une bouillotte coupée en morceaux — chacun associé à une anecdote, souvent cocasse, la ramenant à ses TOCs et ses névroses, son passé, sa relation à ses enfants ou son quotidien.
De courtes phrases viennent décrire certaines planches, résultats très sérieux d’une étude statistique loufoque qu’elle a réalisée grâce à un tableur Excel : « La somme dépensée pour tous les objets de la cuisine (3 620,60 €) est inférieure à la somme investie dans ma collection de poupées Blythe. » Ou encore « 55 % des objets de ma chambre sont des vêtements. Chaque année, ce chiffre diminue de 20 %, je suis sur la bonne voie. » L’autodérision comme source de guérison.
Au fil des pages, le nombre d’objets, tous numérotés, augmente à un rythme affolant, nous laissant cois face à l’ampleur du projet : démarche salvatrice ou ultime névrose ? Pour cette casanière invétérée, se confiner avec ses objets afin de les indexer un à un a constitué un véritable rempart au chaos du monde. « L’inertie des objets me procure un profond sentiment de quiétude ».
Au-delà du cheminement thérapeutique qu’il constitue, Katalog nous ramène inévitablement à nos propres possessions et fonctionne comme une « anthropologie visuelle de notre société contemporaine ». Ce travail très intime évoque finalement les névroses de notre propre société, dont la surconsommation est un symptôme.
Projet aussi étonnant que titanesque, Katalog est un autoportrait en creux aux 12 795 objets, dans lequel TOCs et humour marchent main dans la main, prodiguant une cure inattendue à sa photographe et à son lecteur.
Barbara Iweins – Katalog
368 pages, français
Delpire & Co, 2022
Disponible en librairies ou en ligne
42,00 €
https://www.katalog-barbaraiweins.com/
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