Dans Flowers drink the river, son nouveau livre édité par Setanta Books, Pia-Paulina Guilmoth évoque son parcours de transition de genre à travers un récit onirique placé sous le signe d’une nature sacrale.
Flowers drink the river est né de l’obscurité. Sans emploi, ni logement, forcée de retourner vivre chez ses parents, terrorisée à l’idée de faire son coming out, coincée dans un corps dont elle veut se libérer… Pia-Paulina Guilmoth traverse une profonde dépression et ne produit plus d’images depuis près d’un an. Entreprendre une transition de genre lui est impossible dans la zone rurale du New Hampshire où elle vit, elle ne s’y sent pas en sécurité. La lumière revient avec le coup de fil d’une amie qui lui propose de s’installer dans le Maine. Entourée de sa « famille choisie » elle entame un traitement hormonal substitutif et retrouve l’envie de photographier : « Flowers Drink the River est le fruit de ces dernières années. L’amour, l’acceptation du changement et la recherche de la beauté dans les moments sombres sont, en fin de compte, ce qui lie ce travail. »
Si le noir règne sur les pages de ce livre, il est porteur d’un souffle de vie, d’une force mystérieuse et presque surnaturelle qui anime les êtres au plus profond de la nuit. Couverts de boue, immergés dans l’eau ou les hautes herbes, ces derniers sont les discrets protagonistes d’un monde tourné vers la nature. Du macro au micro, Pia-Paulina Guilmoth regarde le monde naturel avec une patiente admiration, revenant sans cesse aux mêmes lieux pour l’observer évoluer dans un cycle continu de croissance, de vie et de mort. Comme une araignée sur sa toile, elle peut passer des heures à attendre qu’un motif se dessine devant son appareil. La nature a pour elle un caractère sacré : « Elle est quelque chose que je veux protéger et vénérer. »
Les cycles de création et de transformation de la nature se font ici l’écho des changements que la photographe a elle-même traversés ces dernières années. En lui offrant une seconde puberté, la prise d’hormone lui a permis de remonter le temps pour renouer avec une certaine jeunesse. Les hormones ne peuvent néanmoins pas tout effacer et sa structure osseuse reste inchangée : « c’est pour moi un rappel constant de la douleur, ou de la croissance, selon la manière dont je choisis de la percevoir. Et je vois le paysage de la même façon. Partout dans cet État, les forêts portent les cicatrices de l’industrie, de la colonisation, de la douleur, de maladies affectant certaines espèces. Mais dans le même souffle, on peut aussi la voir grandir et s’épanouir. »
C’est dans une quête continue de beauté que Pia-Paulina Guilmoth puise la force de sa résilience. À travers son objectif, le quotidien devient rêve. Aux yeux de celle qui compare l’acte de photographier à celui du sortilège, chaque mouvement de la nature, chaque geste de son entourage, est prétexte à faire émerger de ses images un sentiment magique, largement renforcé par cette omniprésence de la nuit. Minuit n’est-il pas l’heure des sorcières ? Pour la photographe, les ténèbres représentent autant un espace de créativité qu’un refuge, ils lui accordent une liberté et une sécurité que le jour lui refuse : « C’est en plein jour que j’ai vécu la plupart de mes rencontres effrayantes avec des gens, que j’ai été harcelée, suivie. »
Une ode à la beauté surnaturelle de la nature autant qu’à l’importance de la communauté et de l’inclusivité, Flowers drink the river est né de la nuit mais irradie de lumière. Aujourd’hui plus que jamais, à l’heure où le gouvernement de son pays s’en prend violemment aux droits des personnes transgenres, Pia-Paulina Guilmoth entend rappeler que : « Une chose est sûre : tant que les personnes trans, queer et marginalisées peuvent trouver une communauté, de la joie, de l’amour et de la beauté dans leur vie, ils ne pourront jamais nous détruire. »
Pia-Paulina Guilmoth – Flowers Drink The River
Publié par Stanley/Barker, 2025
80 pages, 30 x 24 cm
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne.
