La Chronique Livre : Daniel Gordon : New Canvas

Pour L’Œil de la Photographie, les livres photographiques comptent autant qu’une exposition ou un portfolio. Ils font l’histoire et l’actualité du médium. Notre correspondante Zoé Isle de Beauchaine porte un regard inlassablement curieux et averti sur les dernières parutions.

Depuis une quinzaine d’années, Daniel Gordon compose des photographies exubérantes et bigarrées à partir d’objets constitués d’images. Jouant avec les codes de la photographie, de la sculpture et de la peinture, il brouille les frontières entre deuxième et troisième dimension.

Travaillant essentiellement dans son studio de Brooklyn, Gordon glane des images sur internet qu’il retouche numériquement avant de les modeler dans un geste plastique : imprimées, découpées, froissées, pliées puis collées, celles-ci deviennent peu à peu des sculptures servant à ses mises en scène photographiques, le plus souvent des natures mortes.

C’est ce genre que les éditions Chose Commune mettent à l’honneur dans New Canvas, dernier ouvrage consacré au photographe américain. Présentant d’abord un inventaire de ses poteries — vases, cruches, amphores — et de fonds composés de formes abstraites ou de figures faisant écho à ses objets, le livre offre un riche aperçu de ses natures mortes, dont le processus créatif est décortiqué dans un brillant essai de la commissaire d’exposition Susan Thompson.

Ces compositions associent essentiellement vases, fleurs et aliments, trio classique de la nature morte que Gordon détourne pour le plus grand plaisir des yeux par un usage grisant de la couleur, une attention particulière à la surface ainsi que des jeux d’écho ou de superposition des formes.

La nature morte permet à Gordon d’éprouver le potentiel créatif de la photographie, explorant des processus picturaux tels que la couleur, le motif et la forme : « En vérité, la nature morte ne m’intéresse pas particulièrement ; c’est le travail des compositions qui m’intéresse.» Le sujet devenu secondaire, Gordon n’hésite pas à réutiliser à l’infini certaines de ses créations, le pichet 7a notamment, que l’on se plaît à retrouver dans plusieurs de ses tableaux photographiques.

Compositions quasi-psychédéliques, aussi trompeuses qu’enivrantes, les natures mortes de Daniel Gordon sont un superbe hommage à la forme et la couleur autant qu’au potentiel expérimental de la photographie.